"L'amnésie de la souffrance", une nouvelle de Fabien Vie.

"L'amnésie de la souffrance"

Il y a un an nous publions cette nouvelle de Fabien VIE.

 

Le jour se lève, Marie est sur la route de Cassis après 48h de garde à l'hôpital de la Timone à Marseille.

 

Lorsque au détour d'un virage en épingle dans la montée du col de la Gineste pris en 1ère, elle renverse un homme sur le bord de la route.

 

Elle s'arrête immédiatement.

Sort sa trousse de médecin.

 

L'homme est sonné.

Il n'a aucune trace de blessure ni de sang.

 

Par précaution, Marie appelle les pompiers.

Elle le place en position de sécurité et attend les secours.

 

L'homme ouvre les yeux aux urgences.

Il est midi.

 

Marie est endormie près de lui sur un fauteuil.

 

Un interne entre à ce moment dans le box.

 

"Marie, réveillez-vous.

Votre inconnu retrouve ses esprits."

 

"Vous allez bien monsieur ?"

 

"Où-suis-je ?"

 

"Vous êtes aux urgences de la Timone.

Le docteur Klein vous a renversé sur la route de Cassis.

On vous a conduit ici."

 

L'homme ne dit rien.

 

Son visage ne dénote aucune expression.

 

"Je suis profondément confuse.

Je rentrais chez moi après un week-end de garde.

Je ne vous ai pas vu dans ce virage.

Le choc ne fut pas violent.

Nous avons réalisé plusieurs examens.

Vous n'avez rien, pas même une égratignure."



L'interne

 

"Nous n'avons pas trouvé de papiers, ni de portefeuille, ni de smartphone sur vous.

Où alliez-vous ?

Qui êtes-vous monsieur ?"



"Pas trop de questions en même temps à ce monsieur s'il vous plaît."

Dit Marie à l’interne.



"Vous n'avez pas mal ?

 

Comment vous sentez-vous monsieur ?

 

Comment vous appelez-vous ?"



Après quelques secondes de latence.

 

"Je ne me souviens pas.

Je ne sais pas.

 

Comment se fait-il que je sois à Marseille ?"

 

Marie et l'interne se regardent éberlués.



"Reposez-vous.

Nous sommes à côté.

Ne vous inquiétez pas."

 

L'homme est impassible.

 

Il ne bouge pas.



Dans la salle

des médecins et internes

 

"Il ne me manquait plus que cela pour finir ce week-end de garde.

Il n’a aucune contusion, pas d'alcool ni de drogue dans le sang”.

 

“Mettons-nous en rapport avec police, gendarmerie et hôpital psy pour demander s'ils sont en recherche d'un homme correspondant à son profil.

Transférez-le dans mon service en neurologie.

Je rentre chez moi dormir.

Appelez-moi en fin de journée pour me donner des nouvelles.

En attendant, on le garde en observation, amnésie dissociative ou totale, je ne sais pas."

 

Marie est réveillée en sursaut par la sonnerie et les vibrations de son téléphone placé sur la petite table près de son lit.

Il fait déjà nuit.

C'est le soir à Cassis.



"Police nationale, inspecteur Rossi, professeur Klein.”

 

“Je vous appelle pour l'homme que vous avez renversé.

Nous n'avons rien pour l'instant.

Nous passerons demain à l'hôpital pour la prise d'empreintes et les photographies pour les passer dans nos fichiers de personnes disparues."  

 

 

Marie passe voir les infirmières et internes du service pour prendre les dernières nouvelles à son sujet.

 

Il ne pose aucune question.

Il est en pleine forme.

 

Marie entre dans la chambre.

L'homme est au pied du lit en train de faire des abdominaux.

Elle est assez surprise.

 

"Bonjour, monsieur, je vois que vous allez bien ?”

 

"Très bien, mais je ne comprends absolument pas ce qui m'arrive. J'avais besoin d'exercice.

Je me suis mis naturellement à faire des abdos.”

 

“Cette perte de mémoire, je n'y comprends rien.

Vous pouvez m'en dire plus docteur ?

Il n'y a personne qui serait venu demander des nouvelles à mon sujet ?

Infirmières et internes ne m'ont rien dit.

Je n'ai pas posé de questions."

 

 

"Nous n'avons pour l'instant reçu aucun appel en ce sens.

Il s'agit sans doute d'une charge émotionnelle excessive qui a provoqué votre amnésie appelée «psychogène».

Les souvenirs peuvent parfois être accessibles sous hypnose,  car on ne s’en rappelle plus dans des conditions normales.

Mais, nous n'en sommes pas encore là.

Vous allez passer un scanner cet après-midi pour que nous ayons le maximum d'informations et vous aider à reprendre le fil.

Je pense que vous êtes sujet au trouble, appelé «amnésie globale transitoire», qui touche simultanément la mémoire nouvelle et dans une moindre mesure, la mémoire ancienne.

Même si la situation est très impressionnante pour vous, les personnes sujettes récupèrent presque toujours leur mémoire sans séquelles.

Ces épisodes sont dus en général à un stress important causé par un deuil, une rupture sentimentale ou à un effort physique considérable.

Ne vous inquiétez pas.

Vous êtes dans l'un des meilleurs service de France."

 

"Je ne me souviens de rien, docteur, ni de mon nom, ni de mon prénom.

J'ai beau essayer de faire des efforts.

Je n'y arrive pas."

 

Vous allez rester en observation quelques jours puis nous aviserons. Vous n'avez pas à vous inquiéter.

Tout va bien se passer."



Plusieurs jours passent.

L'inconnu n'a toujours pas recouvré sa mémoire.

 

Services de polices, cliniques et hôpitaux psychiatriques n'ont rien donné.

 

Cela allait prendre plus de temps.

Les services sociaux et l'hôpital ne pouvant l'héberger plus longtemps. Il allait être mis à la rue.

 

Marie, contre l'avis de ses proches et des services sociaux, lui propose de le recueillir le temps qu'une solution puisse être trouvée.

 

"J'habite à Cassis dans une grande maison.

Il y a une annexe pour les amis près de la piscine.

Si vous acceptez.

Je vous propose de vous y installer le temps que votre situation s'éclaircisse."

 

"Je vous suis très reconnaissant de me proposer cette alternative à la rue.

Vous n'êtes pas obligé, ni coupable de mon amnésie."

 

"En échange, si vous acceptez.

Je vous demande de vous occupez du jardin.

L'été est dans une semaine.

Je n'ai eu le temps de rien faire ce printemps.

Vous aurez du travail entre le jardin, la piscine à remettre en eau et le jardin potager dont mon père n'a plus trop le temps de s'occuper.

Je vous donnerai une rétribution financière pour cela."

 

“Je ne peux qu'accepter votre proposition qui est un premier pas pour me sortir de cette situation folle.

Je vous remercie infiniment docteur."

 

Marie prête à l'homme un ordinateur portable afin qu'il puisse faire des recherches sur internet.

Il passe l'ensemble de son temps libre à explorer le web pour essayer de trouver une piste sans avoir de feuille de route.

 

Marie lui fit une avance afin qu'il puisse s'acheter des vêtements et un vélo pour se déplacer.

 

Elle s'était habitué à voir cette homme discret vacant à l'entretien de son jardin.

 

Comme chaque année le premier week-end de juillet elle invitait une foultitude d'amis et de relations professionnelles dans sa villa qui surplombe la baie de Cassis.

La veille de la fête, l'inconnu invite le soir Marie à dîner.

Elle accepte.

 

"Je me suis surpris à savoir faire la cuisine.

Je vous ai préparé des légumes farcis avec ceux de votre jardin et nous avons des abricots de votre arbre."

 

"Je vous remercie." lui dit Marie.



"J'ai choisi le prénom transitoire d'Hadrien avec un H, comme l'empereur romain.

J'ai découvert que je connaissais le latin en faisant des recherches, mais aussi que je parlais parfaitement l'italien, l'espagnol et à un degré moindre l'anglais.

Tout cela a un peu noyé mes recherches."

 

"J'aime bien ce prénom, Hadrien.

C'est une bonne chose que vous ayez par vous même commencé à recréer une identité.

Je comprends que vous passiez beaucoup de temps sur vos recherches.

Cela vous fait deux pistes en quelque sorte, les langues et l'histoire."

 

"J'écris aussi comme vous me l'aviez demandé mon histoire depuis l'accident."



"C'est le début de votre mémoire."



"Je ne suis pas allé au delà de Cassis.

La semaine prochaine, je m'aventurerai jusqu'à Marseille.

J'ai l'impression que je connais cette ville."

 

Hadrien poursuit ses recherches, seuls des souvenirs de scènes de cinéma, des passages de romans, des poésies, des architectures, de la musique, des oeuvres d'art  et des émotions peuplent sa mémoire.

 

Hadrien est sous le charme de cette femme blonde séduisante qui semble forte sous sa blouse de neurologue reconnue, mais si sensible, fragile.

 

Elle semble parfois si tourmentée, son regard azur trahissant ses émotions.

 

La fête de l'été bat son plein chez Marie.

 

Beaucoup la presse de questions sur cette situation.

 

Hadrien est resté bien évidemment à l'écart dans son annexe de 80 m2 dans laquelle il se sent bien.

 

Les invités sont partis.

Hadrien sort pour proposer son aide à Marie pour ranger.

 

"Laissez.

Je vais m'en occuper.

Je n'arrive pas à dormir."



Marie porte une robe dos nu blanche, un très beau pendentif simple incrusté d'un saphir clair qui fait échos à ses yeux bleu.

 

Hadrien pour la première fois voit Marie telle qu'elle est, une femme superbe proche de la quarantaine, blonde, à la peau claire et non le neurologue qui l'a recueilli.

 

Il se soustrait de cette attirance pour continuer le rangement et jeter les poubelles.

 

Marie retire enfin ses talons haut.

Elle marche jusqu'à la piscine une dernière coupe de champagne à la main.

Elle s'allonge sur une chaise longue.

Hadrien s'approche.



"Cela vous dérange si je prends un bain ?"



"Non, pas du tout"



Hadrien retire son pantalon et chemise qu'il jette sur une chaise et plonge dans l'eau à 28°c.

 

Il fait toute la longueur de 15 mètres sous l'eau puis revient vers Marie.

Elle lui tend une serviette.

Hadrien sort doucement.

Il est grand, fin, sans une once de graisse, sa peau est légèrement bronzée.

 

Marie plonge dans son regard brun et lui propose de prendre une coupe de champagne s'il le souhaite.

Il s'exécute.

Ils sont maintenant près l'un de l'autre.

Hadrien se penche pour trinquer avec elle.

 

Marie se redresse et se lève.

 

Elle est maintenant très près de lui.

Hadrien penche sa tête et l'embrasse doucement.

Ils s'enlacent longuement

 

Hadrien retire délicatement la robe de Marie.

Elle lui prend la main et l'attire dans la maison qu'il découvre pour la première fois.

 

Hadrien s'engouffre en elle sur le bord du canapé blanc en la tenant par les hanches pour qu'elle ne tombe pas.

 

Marie est merveilleusement excité par cette homme qui la prend et la regarde dans les yeux.

 

"Prends moi par derrière, maintenant.

Prends-moi fort.

Défonces-moi !

Fais-moi jouir !"

 

Marie pousse un grand cri de jouissance.

 

Il y avait une éternité qu'elle n'avait pas joui, qu'elle n'avait pas eu d'homme en elle, hormis des passades sans lendemain ni grandes jouissances.

 

Ils s'effondrent tous les deux sur le grand canapé blanc l'un contre l'autre après avoir fait l'amour jusqu'à avoir mal au sexe de douleur et de plaisirs intenses.

 

"C'est bizarre.

J'ai envie de fumer une cigarette."



Marie ne répond pas.

Elle s'est endormie.

Hadrien s'allonge contre elle.

Il n'est plus tourmenté par sa quête d'identité.

 

Il s'endort.

 

Au petit matin, Hadrien se réveille.

Le soleil est déjà haut et pénètre dans le vaste salon.

Marie dort encore tout contre lui.



Hadrien se lève.

Il a envie d'un café et d'une cigarette.

Il cherche la cuisine qu'il trouve naturellement sans regarder le salon et la salle à manger qui se juxtaposent.

 

Il prépare des tartines grillées.

Il trouve de la confiture de framboise artisanale, sa préférée, les capsules de café et de nombreuses boîtes de thé.

Il ajoute un nuage de lait dans un petit verre pour l'accompagner et du jus de clémentine sur le plateau.

 

Hadrien entend "all you need is love" des Beatles qui vient du salon.

 

En sortant de la cuisine, Hadrien voit une superbe sanguine d'une femme nue, un Picasso.

 

Sa mémoire tremble, se déchire.

 

Hadrien s'avance lentement dans le grand salon.

 

Marie est assise sur le grand canapé blanc, les genoux tirés vers elle.

 

Elle le regarde dans les yeux, sans mot dire.

 

Hadrien lève son regard vers le mur derrière Marie.

 

Une photographie couleur de grand format est accrochée.

Marie au sourire et regard bleu éclatant dans sa robe de mariée embrasse ...

 

Hadrien pose le plateau sur la table basse devant Marie qui le regarde toujours intensément.

 

Il s'agenouille devant elle, se regarde sur la photographie le sourire aux lèvres.



"All you need is love" est leur chanson.

Hadrien s'approche de Marie.

Lui tend ses mains.

 

Des larmes coulent sur ses joues.

Le voile noir de sa souffrance tombe pour laisser place à la mémoire.

 

Marie le regarde.

Lui sourit.

Hadrien d'une voix très basse.

 

"Je m'excuse mon amour."



Marie lui pose ses doigts sur la bouche.

Les larmes ruissellent à présent sur son doux visage.

 

"Ne dis rien amour de ma vie.

Le malheur nous a frappé aveuglément.

Tu n'es pas responsable de la mort de nos enfants."

 

"J'ai été emporté par la souffrance.

Je t’ai abandonné.

Je n'ai pas été à la hauteur de ton amour, de notre amour."



"J'ai toujours cru au plus profond de mon être que tu n'abandonnerais pas Hadrien.

J'ai été désespéré.

Tu m'as fait souffrir le martyr.

Je t'ai supplié.

Tu n'entendais pas.

Je t'ai détesté au plus au point pour ce mal, cet abandon.

Tu m'avais fait rêver.

Tu m'avais aimé.

Tu mourrais en moi.

Je t'avais abandonné pour survivre, surmonter ma destruction et croire en l'amour à nouveau dans les bras du premier venu."

 

Hadrien l'écoute.

 

La violence de la souffrance s'est estompée.

 

Il n'oubliera jamais.

 

Ses enfants seront toujours dans son coeur.

 

Hadrien pose sa tête de côté sur les genoux de sa femme.

 

"Lorsque la clinique psychiatrique m'a téléphoné le matin ou tu t'es enfui une nouvelle fois pour marcher vers notre maison du bonheur.

Ici à Cassis, où nous vivions heureux avec nos deux fils.

J'ai foncé pour te rattraper en sortant de l'hôpital.

Je voulais que tu meures pour mettre fin à mes souffrances.

Tu marchais sur le bord.

Je n'ai pas pu.

Je t'ai renversé en faisant une fausse manœuvre.

J'ai imaginé ce stratagème de la dernière chance pour te sauver de toi même, me sauver, sauver notre amour."

 

 

Hadrien est son mari depuis 12 ans.

Il était professeur en histoire de l'art à l'université.

Un jour qu'il se baladait avec leur deux fils sur la corniche en vélo pour aller chez leur grand-père à Endoume.

Le chauffeur d'un poids lourd perdit le contrôle de son véhicule en freinant derrière une voiture.

Il fit une embardée sur la piste cyclable.

Les deux enfants furent tués sur le coup.

Hadrien perdit la raison, puis toute mémoire antérieure.

 

Depuis 3 ans, sous l'égide de Marie, de nombreux psychiatres renommés avaient vu Hadrien.

Il n'y avait aucune rémission.



Hadrien serre très fort dans ses bras Marie. Il l'embrasse.

 

"Je t'aime mon amour.

Je ne renoncerai plus jamais à la vie, jamais."

 

                               



 

Fabien VIE

Montpellier, décembre 2016