Théâtre : les Emigrés, au théâtre la Reine Blanche

Culture: les "Emigrés" de Mrozek au théâtre parisien de la Reine Blanche

"Les Émigrés" fait partie sûrement partie des plus célèbres drames du dramaturge et écrivain polonais Slawomir Mrozek, réfugié politique en France dans les années 1970,  et mort à Nice en août 2013 . Écrite en 1974, et éditée en français un an plus tard, chez Albin Michel. Adaptée dans le monde entier et traduite en plusieurs langues, cette pièce est actuellement  à l'affiche du théâtre parisien de la Reine Blanche.

Imer Kutllovci en assure la réalisation. Jeune acteur de 37 ans, et metteur en scène, il est assisté par Ridvan Mjaku, ainsi que sa femme Fanny avec qui il a fondé la troupe théâtrale "La Compagnie de l'Etoile".  Ensemble, ils présentent depuis trois ans, et avec succès, des œuvres classiques et contemporaines du répertoire français. 

« Je suis venu à Paris de Prishtina, la plus grande ville du Kosovo où j'ai interprété de grands rôles au Théâtre national, après quatre ans d'études à l'Académie des Arts dramatiques." Imer Kutllovci est admis au Conservatoire national des Arts dramatiques , devenant très vite artiste auxiliaire de Comédie française où il joue du Beaumarchais et du Shakespeare, puis il interprète plusieurs rôles marquants au cinéma, sous la direction de Pierre Jolivet, Dominique Laroche ou Etienne Kostadinovski et s’intègre à des équipes artistiques de séries télé populaires "Braquo","Main courante" ,"Engrenages"  ou "Le choix d'Adèle".

Nous sommes tous émigrés

Les "Émigrés" a attiré un public nombreux et varié au Théâtre de la Reine Blanche. Les personnages principaux de la pièce sont incarnés par le Sarajevien Mirza Halilovic et son ami de longue date, le Moscovite Gregori Manoukov qui a joué entre autres dans "Triple Agent" d'Eric Rohmer, "Nos Amis les Flics" de Bob Swan, "Banlieue 13" de Patrick Alessandrin ou "Coco Chanel & Igor Stravinski" de Jan Kounen..

Mirza Halilovic, quant à lui, a fait son apparition dans le premier long métrage d’Angelina Jolie "Au Pays du Sang et du Miel" mais aussi chez Radu Mihaileanu dans son magnifique film : "Le Concert". Halilovic a également joué dans "L'Armée du Crime" de Robert Guédiguian. Ce Bosniaque venu à Paris avec la troupe théâtrale de Haris Pasovic aux "Bouffes du Nord", suite à un coup de foudre pour une jolie Française interprète depuis différents rôles au cinéma comme dans "Truands" de Frédéric Schoendoeffer, "Lovers" de Jean Michel Barre ou récemment dans le film de Jonathan Millet "Tu tournes en rond dans la nuit et tu es dévoré par le feu". Il a également interprété des personnages emblématiques dans télé séries "Navarro", "Vérité oblige" "Sartre, l'âge des passions", "Engrenages" ou "Léa Parker". "Ni vu ni connu".
Après un an et demi de préparations, les quatre complices présentent la célèbre pièce de Mrozek avec une réussite incontestable. La petite salle de la Reine Blanche est toujours pleine à craquer. "La Compagnie de l'Etoile" est déjà invitée dans d’autres théâtres de la capitale et envisage une tournée française et francophone : au Luxembourg, en Belgique ou en Suisse.

Leur modernisation du texte de Mrozek lui redonne une actualité brûlante, à un moment où se pose avec acuité la tragique condition des réfugiés en Europe. La pièce s’organise autour de AA et XX, un intellectuel et un ouvrier, qui fêtent le réveillon dans la cave d'un immeuble bourgeois. Tous deux n'ont en commun que cet endroit sordide et la frustration des rêves inaccomplis. Chacun dans son monde clos, ils n'arrivent pas à communiquer. Noyés dans l’alcool, leurs terribles monologues, marqués par l’absurde  et l’incompréhension, dévoilent leurs vérités cachées. AA et XX, viennent chacun d'un pays hypothétique où leur retour est impossible. Pourtant cela ne les empêche pas de le rêver, chacun à sa manière.

L'intellectuel qui fuit l’action en se cachant dans des livres est incarné par Manoukov. Son attitude hautaine se fissure dans ses propres incertitudes, que l’ouvrier, interprété par Mirza Hlilovic, n’a aucun mal à dévoiler. Celui-ci, ravagé par le dur labeur et les difficiles conditions d'existence, rêve aussi de rentrer chez lui et vivre avec sa femme et ses enfants, dans une maison qui n’existera jamais. Mais peu importe, leur désir et leur espoir d’un ailleurs sont plus forts. La fin de la pièce élargit le propos : l’"émigré" symbolise la condition humaine, éphémère par nature.