"Tout le monde - citoyens, politiques, journalistes - a réagi unanimement contre les violences infligées aux dirigeants d'Air France", commence Eric-Emmanuel Schmitt sur sa page Facebook. (Capture d'écran)

"Violences à Air France", le coup de gueule d’Eric-Emmanuel Schmitt

Après avoir critiqué les pratiques médiatiques à l’heure des attentats d’Isère et de Tunisie, Éric-Emmanuel Schmitt s’interroge aujourd’hui via sa page Facebook sur le concert d’indignations et de condamnations qui a couvert les récentes violences à Air France. En rappelant cette phrase de Marcel Proust : "L'indifférence aux souffrances qu'on cause est la forme terrible et permanente de la cruauté."

Médiaterranée publie ici inextenso ce billet d’Eric Emmanuel Schmitt.

"Violences à Air France"

"Tout le monde - citoyens, politiques, journalistes - a réagi unanimement contre les violences infligées aux dirigeants d'Air France : deux hauts responsables essuyèrent une sorte de lynchage dont ils s'échappèrent in extremis, aidés par la sécurité, meurtris, les vêtements déchirés.

Loin de moi l'idée de justifier la violence physique, aussi bête qu'injuste et sans issue. Si les hommes ont inventé le langage, c'est bien pour traiter les conflits à un autre niveau, celui du débat élaboré, allant de l'entente à la rupture en passant par le compromis.

Cependant, une phrase de Marcel Proust passait en boucle dans mon esprit et venait tempérer ce concert d'indignations : "L'indifférence aux souffrances qu'on cause est la forme terrible et permanente de la cruauté." Cela me renvoyait à l'image d'une hôtesse en quête d'explications ce même jour, à laquelle les cadres ne portaient pas attention. Cela m'évoquait ces hommes et ces femmes, mis en danger financier et vital, qui perdront leur emploi parce que l'indifférence managériale les a réduit à une ligne comptable.

Proust a raison : nous vivons dans une société cruelle. Il n'y a pas pire agression que l'indifférence. Et il n'y a pas plus courant !

Quand on pratique l'indifférence envers les gens, on indique que nos semblables ne sont pas nos semblables mais "les autres". On s'isole dans une prétendue supériorité, on se coupe du lien, des sentiments, on se déifie de façon illusoire. On sème le mal. On instaure une humanité de coexistences sans partage, sans sympathie, sans compassion, bref une humanité sans humanité.

Malheureusement, je ne vois jamais l'indifférence faire les gros titres de la presse. Ce poison a, comme grande force, de demeurer invisible..."