Ali Benflis candidat contre Abdelaziz Bouteflika

Election en Algérie : Ali Benflis peut-il incarner le changement ? (Interview)

Le candidat Ali Benflis a mené une campagne au pas de charge, très remarquée et qui a souvent fait de l’ombre à l’équipe de son rival Abdelaziz Bouteflika. L’ex-ministre de la Justice se dit porteur d’un « projet de renouveau ». Il pourrait créer la surprise en obtenant un score respectable ce jeudi 17 avril et entamer sérieusement la légitimité du président sortant donné favoris pour un 4ème mandat. Entretien.
 
 
_Vous avez été ministre de la Justice, Premier ministre, patron du Front de libération national (FLN) et même directeur de campagne de Bouteflika… Qu’est-ce qui peut aujourd’hui fondamentalement vous différencier de ce dernier ?
 
J’ai effectivement occupé toutes les hautes responsabilités que vous indiquez, mais pour part, j’ai toujours œuvré en faveur d’une transformation du système en place. Le bilan de mes réalisations témoigne de mon engagement pour le changement. J’ai par exemple occupé les fonctions de ministre de la Justice dans trois gouvernements successifs en engageant des réformes radicales et profondes qui ont consacré l’indépendance de cette institution. Les professionnels qualifient d’ailleurs cette période « d’âge d’or » de la Justice algérienne. Le président Bouteflika n’a jamais cru à la possible indépendance des magistrats et ce fut précisément un des points de divergence entre nous. Il n’avait pas hésité à déprogrammer de l’ordre du jour d’un Conseil des ministres un projet de loi relatif au statut du Conseil supérieur de la magistrature consacrant l’indépendance de celle-ci. Pour ce qui me concerne, je suis enfin un homme de gouvernement et non de pouvoir, un homme de dialogue opposé au pouvoir personnel.
 
_ Votre discours de campagne s’adapte aux régions visitées, à l’auditoire, avec souvent des promesses spécifiques, mais on ne distingue pas précisément votre projet de société. Vers où voulez-vous mener l’Algérie ?
 
Mon projet de société est clair : je veux faire entrer l’Algérie dans l’ère de la société des libertés, je veux consacrer dans mon pays les principes de l’Etat de droit, je veux une presse libre et des médias pluraliste, une économie productive et diversifiée. Je ne pense pas que l’Algérie puisse faire l’économie de réformes profondes selon une démarche consensuelle basée sur le dialogue et la concertation.
 
_ Quelles seraient vos priorités immédiates, si vous veniez à être élu ?
 
La réforme de la Constitution figure en tête de mes priorités. Je l’envisage comme l’aboutissement d’un processus de dialogue national qui n’exclura personne, hormis, bien évidement, ceux qui auront choisi la voie de la violence. Je présiderais ce dialogue qui réunira tous les partis politiques ainsi que les acteurs de la société civile. Nous prendrons le temps qu’il faudra pour élaborer une Constitution qui sera l’émanation de la volonté de la plus large majorité du peuple algérien. Ma deuxième priorité est de parvenir au plus vite à la formation d’un gouvernement d’union nationale avec pour seul critère la compétence et l’intégrité. Les défis à relever exigent la conjugaison de tous les efforts.  
 
_ Quelle attitude attendez-vous de l’armée face à la consultation électorale ? Il se dit notamment que votre candidature est en réalité celle avancée et soutenue par le célèbre Département du renseignement et de la sécurité (DRS).
 
Il est regrettable que dans l’Algérie de 2014 on n’arrive toujours pas à accepter l’idée qu’un homme politique est porteur d’un projet, que son engagement ne vise qu’à servir son pays. Je peux vous assurez que pour ce qui me concerne, c’est bel et bien le cas. S’agissant de l’attitude de l’armée, je m’en tiens aux assurances du vice-ministre de la Défense et chef d’Etat major garantissant sa neutralité. Je n’ai aucune raison d’en douter. Pour avoir assumé de hautes responsabilités, je sais par ailleurs que l’Armée nationale populaire (ANP) souhaite vivement que la classe politique assume pleinement toutes ses responsabilités. L’institution militaire veut éviter à tous prix de se retrouver contrainte, comme par le passé, d’interférer dans le champ politique. En résumé: je suis tout simplement le candidat du peuple Algérien dont j’escompte le soutien et je veux être un président porté par la volonté suprême de ce même peuple. 
 
_Des observateurs ont pointé l’ambiguïté de votre discours sur le thème de la « réconciliation nationale », interprété comme un appel à peine voilé à l’électorat du Front islamique du salut (Fis) aujourd’hui dissout. Assumez-vous cette initiative ?
 
Les observateurs sont libres d’interpréter mes propos, mais je saisis l’occasion de clarifier ma position. J’ai appelé à un dialogue sans exclusive qui regroupera l’ensemble des acteurs politiques. Je ne serais pas celui qui prendra seul des décisions déterminantes pour l’avenir de l’Algérie. Les conclusions auxquelles aboutira cette vaste concertation seront in fine soumises à l’appréciation du peuple algérien par voie de référendum. J’assume donc pleinement ma volonté de n’exclure et de ne marginaliser aucun acteur politique. J’estime que c’est la seule voie réelle pour sortir de la crise.
 
_ Partagez-vous la thèse d’un clan présidentiel hyper puissant qui prend en otage le président sortant pour préserver ses intérêts dans un contexte de corruption massive ?
 
Je n’ai pas à me prononcer sur cette question. Je constate seulement que les tenants de l’ordre établi adoptent à l’évidence une démarche qui vise à préserver des intérêts personnels et à sauvegarder des privilèges. Ils n’ont pas de projets à offrir au peuple algérien et leur discours ne trompe plus personne. Par souci d’éthique, je refuse de m’exprimer précisément sur les objectifs intéressés des uns et des autres. Mais je peux vous dire que les Algériens ne sont pas dupes.
 
_ Comment analysez-vous l’émergence du mouvement Barakat (ça suffit !), de son audience croissante auprès des jeunes ?
 
Militant consciencieux en faveur des Droits de l’Homme, très attaché au droit et à la justice, je ne peux que plaider pour la liberté d’expression de toutes les opinions. Le mouvement Barakat est porteur d’’opinions et de positions qui méritent le respect (rejet du 4ème mandat de Bouteflika, ndlr), car elles reflètent une tendance forte bien présente dans la société algérienne.
 
 _ Le spectre de la fraude habituelle menace-t-il encore une fois le scrutin ?
 
La fraude n’a pas attendu l’ouverture du scrutin. Elle a déjà commencé à travers notamment le recueil de 4 millions de signatures en à peine 48 heures, par le recours illégal aux registres d’état civil à l’insue des citoyens, par l’instrumentalisation des médias publics, la transformation du gouvernement en comité de soutien et l’asservissement de l’Administration. Mais tout cela n’est pas de nature à entamer notre détermination, loin s’en faut, car je mesure l’engouement que suscite le projet de renouveau que je porte. S’agissant précisément du déroulement du scrutin, nous préparons la mise en place d’un dispositif de surveillance mettant à contribution 60.000 personnes chargées de faire échec à toutes les tentatives de fraudes.