MuCem: "Le temps des archives - Le déclenchement de la guerre civile au Liban": retour sur quinze ans de déchirures

MuCem: "Le temps des archives - Le déclenchement de la guerre civile au Liban": retour sur quinze ans de déchirures

Dans le cadre du cycle de réflexion sur l'Histoire, intitulé le Temps des Archives, le MuCem présentait ce 14 avril "Le déclenchement de la guerre civile au Liban", avec les interventions de Marie-Claude Souaid anthropologue de l'Université Saint-Jospeh de Beyrouth et de Jihane Sfeir, historienne du monde arabe contemporain, de l'Université libre de Bruxelles.

« Ils occupent mon territoire et je n‘aime pas ça » - La guerre du Liban, la guerre des autres ?
 

Quarante ans après l'éclatement de la guerre civile au Liban, la séance « Le temps des archives » consacrée à la guerre civile au Liban  s'est penchée sur son déclenchement le 13 avril 1975, avec comme support documentaire cinq vidéos journalistiques, bases audio-visuelles d'une "mémoire-histoire" rappelant les circonstances politiques de cette guerre sanglante libanaise qui devait durer quinze longues et douloureuses années.

Durant cette période de 1975 à 1990, la tension qui s'était cristallisée autour de la question de l‘identité nationale entre les phalanges maronites chrétiens et les nationalistes arabes, a débouché sur une vraie guerre entre plusieurs parties confessionnelles et politiques. L‘historienne du monde arabe contemporain de l‘Université libre de Bruxelles, Mme. Jihane Sfeir, a fourni des éclaircissements sur ce réseau complexe.

Après une vague d‘immigration de réfugiés palestiniens dans les années 1970, les nationalistes arabes se sont vu renforcés et se sont prononcés pour un État libanais musulman, en opposition à l‘État d‘Israël.

Cela n‘a pas seulement mis fin à la domination politique des Phalanges maronites au Liban, mais la nouvelle composition politique a aussi attiré l‘intérêt d‘autres puissances militaires; notamment celui des pays voisins étant donné qu’à l‘époque, l‘État d‘Israël ne s‘était pas encore comme aujourd’hui et que tous les pays du Moyen-Orient craignaient une correction de leurs frontières.

C’est ce contexte qui favorisera l‘intervention syrienne en 1976 en faveur des Phalanges maronites ainsi que l‘occupation du sud du Liban par des forces militaires israéliennes en 1982.

De plus, en 1979, la guerre s‘est élargie par les combats qui ont opposé les populations chiite et sunnite, ainsi que les groupes qui étaient au côté de la Syrie (la milice Amal) et ceux qui luttaient pour l‘influence de l‘Iran (Hisbollah).

Après la mort du dirigeant des Phalanges Pierre Gemayel en 1982, deux semaines seulement après son élection en tant que Président, il s’est ensuivi une période de troubles au sein du front national libanais et par la suite, s’est constituée une manifestation de l‘opposition musulmane.

C'est seulement avec les « Accords de paix » de Taif en Arabe-Saoudite en 1990 qui prévoyaient le désarmement des Phalanges et la parité confessionnelle au Parlement libanais, que la guerre au Liban sera finalement terminée.

Quarante ans après, le Liban compte 35 % de chiites, 23% de sunnites, 7% de druzes et 35% de chrétiens. La représentation politique de ces différentes parties de population est réglée par la parité au parlement et par un législation qui prévoit que les trois fonctions politiques les plus importantes devront être également partagées entre sunnites, chiites et maronites.

Dans ce contexte complexe, les cinq extraits de l‘archive ont permis une mise en lumière des évènements déclencheurs de la guerre civile : le premier extrait exposait la perspective franco-française sur Beyrouth et l‘information modifiée sur le conflit; par exemple, la notion de « ghetto » ne faisait pas partie de la réalité des Libanais. Les journalistes français avaient parlé d‘une « ghettoïsation » croissante à Beyrouth et, à cause de cette ségrégation ethnique visible, d‘un durcissement du conflit.

La deuxième vidéo montrait le dialogue entre un journaliste et un homme libanais dans le contexte de l‘immigration des Palestiniens ; le voyeurisme journalistique et le point de vue déterminant de l‘Occident pousse l‘homme interrogé à dire : « Ils occupent mon territoire et je n‘aime pas ça ».
Mais la question est de savoir de quels « ils » s’agit-il, et de quel territoire parle-t-on ? Des cités d‘étrangers ? Des bidonvilles ? Du territoire libanais en général ? Est-ce que la cause palestinienne peut vraiment être liée au nationalisme libanais ? Ou bien est-ce que la guerre civile au Liban n'exprime-telle pas avant tout les conflits larvés des grandes puissances du monde ?

Conscients de leurs confessions différentes et de leurs intérêts politiques divergents, les Libanais eux-mêmes n‘ont même pas vu arriver une telle guerre sanglante. L‘anthropologue de l‘université Saint-Joseph de Beyrouth Mme Marie-Claude Souaid est le témoin vivant  de cette sorte d'aveuglement, elle dont les 21 ans ont coïncidé avec le premier jour de la guerre, le 13 avril 1975, et qui n'avait pourtant vu en cet événement sinistre qu' une mauvaise surprise, mais pas le commencement d‘une véritable guerre.

C‘est également la troisième archive qui montre l‘homme politique représentant la population druze, M. Kamal Fouad Jumblatt : tout intellectuel et homme politique expérimenté qu’il était, il n’avait pas su discerner qu’il s’agissait du déclenchement d’une véritable guerre. Et alors que les Libanais essayaient de trouver un fil conducteur dans leur conflit croissant, la communauté internationale préparait l‘évacuation des étrangers du Liban le 4 novembre 1975. Mais, tout comme leurs voisins libanais, ces derniers n'ont pas cru à une continuation du conflit armé, achetant même un billet de retour qu‘ils n‘utiliseront jamais.

Les deux vidéos dernières sont un témoignage de l‘attaque du bidonville « Quarantaine » et du massacre de Tell el Zaatar le 16 juillet 1975. La Quarantaine est habitée par une majorité de Kurdes, des chiites et des Arméniens et constitue la ceinture de la misère de Beyrouth. Selon l‘avis des historiens, c‘est ici même, dans cette extrême pauvreté, que la guerre civile serait née; les couches les plus vulnérables étaient recrutées pour le combat armé et contribuaient ainsi à la complexité de la guerre. En outre, le déplacement des groupes ethniques de Tell el Zaatar en 1975 et l‘homogénéisation ethnique de certains quartiers soulignent aussi cette dimension sociologique de la guerre et témoignent de la préparation de massacres atroces.

Les interventions de Marie-Claude Souaid , et de Jihane Sfeir de même que la lecture critique des vidéos journalistiques présentées, ont montré que, de toute évidence, le Liban représentait le terrain où se sont joués les conflits qui caractérisaient les relations internationales de l‘époque. La conférence du Temps des archives au MuCEM a ainsi donné lieu à un débat animé, où il s’est agi avant tout de donner la parole à chacun, qui « traine avec lui ses souvenirs »...