des frappes annoncées sous le signe de l’urgence pour stopper l’avancée des troupes de l’Etat islamique... (DR)

La diplomatie américaine ramasse la mise sur le champ de ruine irakien

La Maison Blanche s’implique militairement pour une nouvelle fois en Irak. A quelle logique sa diplomatie obéit-elle ? Quelles peuvent en être les conséquences géopolitiques dans un Proche-Orient dans la tourmente, plongé dans le chaos d’affrontements communautaires sans précédent ?

Barak Obama en chef de guerre se réjouit des premiers résultats des « frappes ciblées » en territoire irakien, annoncées sous le signe de l’urgence pour stopper l’avancée des troupes de l’Etat islamique. « Nous avons aidé des personnes vulnérables à se mettre en sécurité et nous avons aidé à sauver la vie de nombreux innocents », a déclaré jeudi 14 août le président américain lors d'une conférence de presse. La mission serait quasiment accomplie pour les objectifs fixés : protéger les Américains positionnées à Erbil, capitale du Kurdistan, éviter le massacre des Yazidis (1), minorité réfugiée sur les montagnes de Sinjar. A l’heure où ces lignes sont écrites, Obama se dit déterminé à poursuivre les frappes pour « protéger les installations américaines en Irak ».

« Les Etats-Unis ont énormément hésité avant d’intervenir. La grande poussée des islamistes a commencé au moins de janvier dernier. Barak Obama avait d’abord envoyé en juin une mission d’évaluation de la situation », rappelle Nicole Bacharan, politologue, spécialiste de la société américaine et des relations franco-américaines. Selon elle, les frappes aériennes auraient été déclenchées sans passer par l’ONU en riposte « à la violence extrême des islamistes et à la situation humanitaire ». Une réponse conjoncturelle en somme, et non pas un déploiement stratégique. Car « au plan historique, on a du mal à percevoir la cohérence à long terme de la politique américaine », explique Mme Bacharan. Une chose au moins est sûre, « Obama a été élu sur la fin de la guerre, mais il n’y a pas de principes directeurs clairs, d’où un rôle à priori inefficace », estime-t-elle.

Des "intérêts stratégiques en jeu"

Directeur du Centre d’Etudes et de recherche sur le monde arabe et Méditerranéen (CERNAM, basé à Genève), Hasni Abidi considère pour sa part que l’intervention américaine répond plutôt à des « intérêts stratégiques en jeu ». Il pointe précisément les liens privilégiés avec les kurdes, « deuxième force du parlement irakien, arbitres du jeu politique et meilleurs sous-traitants des américains dans la région ». Sans compter la présence « des bases américaines au Kurdistan où se trouve par ailleurs la moitié des raffineries de pétrole du pays ».

L’intervention US a ouvert la voie à une mobilisation de la « communauté internationale ». L’Alliance transatlantique (OTAN) a tout compte fait pris les devants en marge de l’ONU. Les pays européens tentaient de trouver vendredi 15 août un accord pour la livraison d’armes aux Kurdes d’Irak seul rempart contre l’avancée des troupes islamistes, mais pas seulement. L’objectif est désormais de reprendre le tiers du territoire déjà occupé et de briser la menace délirante d’instauration d’un califat.

Dans le contexte irakien tout comme face à l’Ukraine, les USA donnent ainsi à priori le sentiment d’intervenir au coup par coup en tant que puissance dominante de l’OTAN, sans vraiment maîtriser les situations dans leur évolution géopolitique. Mais sans doute est-ce là seulement la partie visible de leur politique étrangère. Douze années après l’invasion de l’Irak, pays dont ils ont favorisé le cloisonnement communautaire et provoqué le déchirement meurtrier après le pourrissement des conditions de vie sous embargo, les américains sont en réalité aujourd’hui face à un Proche-Orient affaibli et éclaté selon les critères de recomposition projetés en 2003 par Bush. L’Europe derrière et eux devant, ils préservent tout compte fait leur stratégie de domination dans la région. Ils ramassent la mise sur un champ de ruine.

(1) Les yazidis constituent une communauté religieuse. Ils pratiquent l'une des plus vieilles religions du monde, antérieure aux monothéismes. Ils sont considérés comme kurdes ayant refusé de se convertir au zoroastrisme, religion répandue dans le Kurdistan au 6ème siècle avant Jésus-Christ. Entre 4.000 et 5.000 d’entre eux se trouvent actuellement dans les montagnes de Sinjar, au nord de l'Irak, où ils ont cherché refuge.