A 20 ans, la maladie, insidieuse, s'était déjà installée mais ne l'a pas empêché, heureusement, de réaliser une oeuvre fabuleuse.

Sylvère Godéré aurait eu 70 ans ce 25 novembre

L’un de ses trois tableaux, peut-être le plus symbolique, est mentionné sur internet et attend les visiteurs, quelque part dans une salle du Musée Dali à Figueras. Son auteur repose, depuis le 18 mai 2016, sous un tas de terre, au cimetière d’Argelès-sur-Mer, où il résidait. Sylvère Godéré, dramatiquement inconnu du monde des arts et du monde tout court, avait été qualifié dans les années 70 par Dali,  le maître du surréalisme comme "le plus grand hyperréaliste de sa génération".

Je le crois d’autant plus, qu’il a été mon meilleur ami depuis ses premiers coups de crayon de dessinateur génial qu’il était dans son enfance. Et puis, il a pris les pinceaux et, soutenu par une inébranlable et personnelle conception de l’Art et de la peinture, il a commencé à peindre dans l’atelier de sa maison familiale d’Elbeuf (76) en Normandie.

Au sommet de son art

En 1974, à 27 ans, il réalise l’affiche pour l’exposition internationale au château de Vascoeuil en Normandie à laquelle il expose ses toiles auprès des plus grands hyperréalistes américains. Il est remarqué par le grand critique d’art parisien, Pierre Restany. Un impresario lui vend, à des prix enviables, des tableaux. Il achète une vieille et belle villa au bord des falaises du Calvados et continue à peindre. Il se rend de nouveau à Cadaques, chez Dali, peint chez lui, avec lui. Mais le drame de sa vie est tapi dans l’ombre. Une myopathie rampe à travers son corps, lentement mais inexorablement. Attiré par le sud, son soleil, les Pyrénées et peut-être la proximité des lieux de son envol artistique, il s’installe à Argelès-sur-Mer en 1990.

Une lente descente aux enfers

 Il passera malheureusement très vite du déambulateur au fauteuil roulant où sa maladie le clouera, jusqu’à l’empêcher, les doigts bloqués, de peindre et de manger. Ce handicap venant s’ajouter à toutes sortes de déconvenues vécues dans son domaine artistique de la peinture, il va complètement se replier dans sa coquille et vivre comme un reclus qui fuit, en « artiste misanthrope», toute tentative d’exposition et encore plus toute vente de ses tableaux et vit un enfer avec sa santé qui se dégrade chaque jour. Mais il garde toute sa tête, comme l’on dit.

Un livre, et puis…

 En septembre 2015, le hasard de notre correspondance l’amène à m’écrire chaque jour, deux chapitres relatifs à sa vie. Les textes, sans doute péniblement tapés avec un doigt sur l’ordinateur, sont chronologiques et s’accumulent. Je lui propose d’en faire un livre. Il ne dit pas non et doit « sentir » quelque chose. Février 2016, il subit une attaque en forme d’A.V.C. Il s’en sort héroïquement et me fait parvenir quelques mots un mois plus tard. Nous devions fêter chez lui en juin 2016 les 50 ans de notre traversée de la France à vélo, en 1966. Je me hâte alors de faire éditer son livre et de lui en faire parvenir le premier exemplaire par la Poste, le samedi de Pentecôte 14 mai. Le lendemain, Sylvie, sa femme, m’appelle et me dit « Sylvère, ça ne va pas…. ». Elle me le passe au téléphone. Pas un mot. « Je crois qu’il t’entend », me dit Sylvie. Je lui fais part de l’envoi de son livre. Il rendra son dernier souffle dans la soirée de ce dimanche de Pentecôte et son livre arrivera chez lui le matin de son inhumation, le mercredi 18 mai. Ce sera une dernière déconvenue pour mon pauvre Sylvère et  son entourage.

Faire connaître Sylvère Godéré

Alors, moi, encore vivant alors que lui vogue sur les ciels des peintres, je veux consacrer la fin de ma vie à emmener de nouveau mon ami Sylvère, plus à vélo, mais vers la lumière de la connaissance, celle de sa personne et de l’artiste, avec son livre à la main, afin qu’il soit enfin connu et reconnu, comme beaucoup de génies l’ont été après leur mort. Une causerie à Argelès, à Narbonne et à Frontignan en 2016, avec le petit montage vidéo ci-joint qui contient de rares photos de ses tableaux extraits d’archives familiales, la même causerie « chez lui », à Elbeuf, au printemps 2018, et ma conscience d’ami fidèle sera soulagée, quand on (re ?)découvrira le peintre, le théoricien, le penseur, le philosophe, le biographe familial, le rebelle et l’aventurier qu’a été Sylvère Godéré pendant 69 ans de cette vie maudite qu’il était le dernier à mériter.

La petite histoire du livre

Je veux sortir son livre mais il me faut une photo. Je lui en demande une de son choix, en provenance de ses archives. Il fait son AVC. Alors pas de réponse. Pressé d’aboutir, je prévois la photo de son affiche de 1974 pour la couverture et je titre « De Rouen à Figueras : tableaux de vie ». Mais son AVC passé, Sylvère m’envoie deux photos auxquelles il tenait. Je choisis celle du vieux quartier détruit d’Elbeuf dans lequel il a vécu et je procède à un second tirage, avec le même texte et je titre-signe prémonitoire ?-« Voyages au bout de ma vie ».

Jusqu’ici, il existait donc un seul livre, avec deux titres et deux couvertures différentes. Pour le troisième tirage, je pense retenir la première version du livre. Un livre dont je reverserai les bénéfices à la famille pour la pose d’une pierre tombale.