à Nairobi, au Kenya, les Chebab somaliens (jeunes en Arabe) ont commis un carnage dans un siège du centre commercial... (Xinhua)

Qui sont les commandos de la mort enrôlés sous le djihadisme ?

Une nébuleuse diabolique, myriades de brigades affiliées ou non à Al Qaida, sème la mort... Les massacres succèdent aux massacres, toujours plus meurtriers, sur des territoires de misère, sous des régimes en décomposition, en proie à des guerres internes… Quel est le lien politico-idéologique entre ces groupes armés, quelles sont les conditions géopolitiques qui favorisent leur émergence et leur persistance sur le front du terrorisme ? Décryptage.

Plus de 100.000 morts après le début de la rébellion anti-Assad, la Syrie connaît une multiplication de ces brigades frappées du sceau du « Djihadisme ». Les premières vagues d’opposition au régime de Damas qui ont donné naissance à l’Armée Syrienne Libre (ASL) leur ont cédé beaucoup de terrain. Sortis de ces mêmes rangs depuis septembre 2012, les islamistes proches des Frères musulmans ont donné naissance au Front islamique pour la libération de la Syrie. Positionnés dans le centre et le sud du pays, ils sont sous perfusion de fonds Qatariens et de fondations privées du Golfe arabo-persique. Proclamés à leur tour et sans surprise « Front islamique syrien », les salafistes grassement entretenus par de riches mécènes Koweitiens sont sur le pied de guerre dans le nord et ne désespèrent pas d’imposer un ordre totalitaire fondé sur la Charia. Créées en 2012 par des membres d’Al-Qaida, les brigades de Djabhet El Nosra et leurs rivaux de « l’Etat islamique en Irak et au levant » drainent des hordes de d’étrangers candidats au « martyr », véritables unités de réserve pour les attentats suicides. Derrière cette configuration confuse, il y a l’horreur des exactions sur les populations civiles, des exécutions sommaires et autres décapitations.

Ils ont défrayé la chronique des abominations durant les dix derniers jours… A Nairobi, au Kenya, les Chebab somaliens (jeunes en Arabe) ont commis un carnage dans un siège du centre commercial. Bilan annoncé de cette tuerie présentée comme une riposte à « l’agression » Kenyane de 2011 : 62 morts, 63 disparus et environ 200 blessés.  Qui sont les « chebab » ? « Un groupe affilié à Al-Qaïda, mais pas seulement », explique Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS/Ceri. « Il faut les considérer comme l'extrême d'un spectre d'une organisation de l'islam politique somalien qui s’est construite dans un rapport de compétition mais aussi parfois d'alliances », poursuit-t-il. Précision de taille, selon le chercheur : « ce sont aussi des gens qui gouvernent, qui prélèvent des taxes, qui distribuent, qui créent des services, comparable au Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) », qui sévissait au nord Mali avant l’intervention française. Spécialiste de la Corne de l’Afrique, Marc Lavergne explique pour sa part l’émergence de ces groupes en Somalie et au-delà dans le Sahel par les « conditions socio-économiques désespérantes, l’obsolescence des modes de suivie et de production ».

Fondée en 2002, l’étrange organisation Boko Haram (L'éducation occidentale est un péché), liée à El-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), a pris racine au Nigéria. Identifiée comme une secte aux contours idéologiques confus, le groupe prône l’instauration inconditionnelle de la charî’a et se livre à des actes de violence de grande ampleur. Un individu supposé en être le chef vient de revendiquer l’assassinat de plus de 200 personnes dans la ville de Benisheikh (Nord-est).

Des « Kamikazes » commandités par le groupe terroriste Tahrik-e-Taliban Pakistan (TTP) ont par ailleurs perpétré un massacre dimanche 22 septembre dans la foule des fidèles présents à la messe dominicale dans une église à Peshawar, faisant près d’une centaine de morts et des dizaines de blessés.

Les populations irakiennes continuent à vivre dans l’enfer au rythme des voitures piégées et des bombes sur les lieux publics. Des groupes plus ou moins liés à Al-Qaida, financés et soutenus par l’Arabie Saoudite, se livrent un interminable combat sur fond de conflits interreligieux. L’objectif est d’entretenir un climat de chaos, de compromettre la moindre amorce d’un retour à la stabilité deux années après le départ des troupes américaines. Au moment où ces lignes sont écrites, le dernier attentat perpétré jeudi 26 septembre sur un marché sunnites à Bagdad à fait au moins une trentaine de morts.

La Libye enfin est devenue une véritable plaque-tournante du terrorisme. Les djihadistes règnent en maîtres dans certaines, le marché des armes y prospère sans contrainte dans une zone frontalière permettant un accès facile aux pays du Maghreb, au Tchad, au Soudan et à l’Egypte. L’attaque du terminal gazier algérien d’In Aménas en janvier 2013, confirme la force de frappe régénérée dans un environnement plus que favorable.

Pour la plupart des analystes, ces commandos de la mort sous la bannière du djihadisme n’entretiennent pas de liens organiques. Ils agiraient en fonction des contextes politiques, des conditions du « terrain » de la capacité et des faiblesses des pouvoirs en place, de leur emprise sur les populations. L’hypothèse d’un «arc de crise djihadiste» défendue par certaines chancelleries occidentales se heurte aux poids de ces diversités historiques, culturelles, sociologique. Cette multitude mortifère qui trempe dans le même bain idéologique de l’Islam radical empreint d’obscurantisme, est, d’une façon ou d’une autre, le résultat des stratégies postcoloniales, du pillage des richesses et de l’échange inégal, du développement du sous-développement, du soutien à des régimes totalitaires, et de la confrontation des intérêts respectifs des grandes puissances... Le terrorisme islamiste a ainsi prospéré sans surprise sur le terreau de la misère et du désordre politico-social. Le retour en force de la Russie sur la scène diplomatique et le poids des pays émergents créent certes une nouvelle donne. La lutte à grande échelle contre la pauvreté et le soutien aux forces authentiquement démocratiques dans les pays arabes et africains n’en restent pas moins la seule issue durable.