La corniche oranaise... (DR)

Le ramadan estival à Oran, un mois fou fou fou... (Reportage)

Bousculades, cris, coups de klaxon, disputes, solidarité, détente, farnienté, plage… les journées ramadanesques ont de multiples visages en Algérie. Face à la fatigue et à l’abstinence, certains deviennent vraiment agressifs. D’autres ont cette capacité à se mettre au service de leurs semblables. Certains attendent le soir avec impatience pour sortir. Qu’importe la direction, pourvu qu’on soit en groupe et que l’on s’amuse jusqu’au s’hour.

Le ramadan coïncide depuis quelques années avec l’été. Des journées interminables qui mettent à rude épreuve les nerfs des jeûneurs. Ceux qui sont en manque de caféine, de nicotine ou de sommeil tout simplement, ne ratent pas une occasion pour extérioriser leur mauvaise humeur.

La patience semble avoir disparu...

Les rixes commencent en général en milieu de journée. Il est 14h30 quand une violente bagarre éclate au marché la bastille, au centre ville(Oran). Après un échange « d’amabilités acerbes » durant quelques secondes, deux hommes, la trentaine, en viennent aux mains. Trop rapidement peut-être ? D’autant que la cause n’est autre que le fait d’avoir été servi par le marchand avant l’autre. Des scènes comme celles-ci, où la patience semble avoir disparu, il y en a des dizaines chaque jour, partout sur la voie publique. Bien évidemment, il n’y a rien de plus banal que d’entendre des personnes se disputer dans la rue, surtout en conduisant la voiture à l’heure de pointe. Mais cette agressivité atteint son paroxysme durant le mois de ramadan.

Les agressions à l’arme blanche, les injures, les empoignades font désormais partie intégrante de l’ambiance du mois sacré en Algérie. Les personnes nerveuses refusent de pointer le nez dehors la journée au risque de se chamailler avec n’importe qui pour le moindre prétexte. C’est le cas de Riad. Ce dernier se passe de sa voiture durant tout le mois sacré. « Les gens conduisent comme des somnambules, et si je prends le volant, je passerai mon temps à insulter. Je préfère alors emprunter le bus ou le tramway et me préserver sur ce plan au moins. » Il ajoute : « N’était les courses de ma mère, je ne sortirais pas avant le f’tour. Souvent, je me bagarre avec des gens dans la rue. Je ne sais pas ce qui leur arrive. Ils deviennent vulgaires. C’est comme s’ils avaient deux personnalités. Ce n’est pas les effets du carême, mais une stupidité ! »

Selon les spécialistes, l’irritabilité est due à l’abstinence. Le manque de nourriture, d’eau et de substances tels que la caféine et le tabac, rendent certaines personnes ingérables pour leur entourage. Le retour à la normale se fait progressivement après par la rupture du jeûne. Selon les mêmes sources, les accros se scindent en deux catégories. Les fumeurs, notamment ceux qui fument plus de dix cigarettes par jour, sont irrités par le manque de nicotine dans les poumons.

Ce manque joue sur leur système nerveux. Il peut avoir un effet nocif ou excitant selon l’état d’esprit de ce dernier et selon la quantité de nicotine absorbée. Mais cela n’excuse pas totalement le comportement colérique de certains individus.

La deuxième catégorie est celle des colériques « occasionnels ». Ceux-ci ne se manifestent que pendant le mois du ramadan. Ils utilisent la période de jeûne comme un prétexte afin de déverser leur rancœur, profitant par conséquent de la tolérance ou du manque d’énergie de ceux qui les entourent. Même si la majorité des gens pensent que les colères sont les conséquences irréfutables du jeûne, les spécialistes soutiennent que les réels signaux de la faim sont les gargouillements à l’estomac, la fatigue ou une mauvaise concentration.

En tout état de cause, les mauvais jeûneurs trouveront toujours un prétexte pour se chamailler, histoire de combler les longues heures d’abstinence. Pendant que ceux-là cherchent d’éventuels sujets pour extérioriser leur agressivité, d’autres s’occupent autrement. Jeunes et moins jeunes préfèrent être utiles à la collectivité.

Croissant-Rouge, scouts, restaurants de la rahma… la solidarité dans ses plus belles expressions...

Etudiants, fonctionnaires ou retraités se portent bénévoles pour aider ceux que la vie n’a pas gâtés. Les exilés, loin de leurs familles, les démunis ou tout bonnement les réfugiés africains ou syriens. Ils s’activent quelques heures avant la rupture du jeûne. Entre cuisine, préparation des plats, ils ne voient pas le temps passer. Ihsane, la bien-nommée, est étudiante à l’université d’oran. C’est la cinquième année consécutive qu’elle participe à l’opération f’tour du C-RA. « J’essaye de me rendre utile. Chez moi, ma mère et mes sœurs aînées font tout. Ici, je me sens utile à d’autres qui ont besoin qu’on les assiste. »

A quelques minutes du f’tour, la cadence du travail s’accélère. Toufik, Mohamed et Islam s’attellent à dresser les couverts. Au menu : une salade, une H’rira, un plat d’olives à la viande de veau le Tadjine de pruneaux et Abricots  et des raisins, des pêches et pastèque comme dessert. La limonade, le lait, les dattes et l’incontournable zlabia ne font pas défaut dans ce restaurent de l’entraide. Ces jeunes bénévoles trouvent leur récompense dans le sourire des nécessiteux qui se mettent chaque jour autour de ces tables de l’entraide sociale.

« Nul ne sait ce que lui cache la vie », dit âmi Mansour, un gérant d’un restaurent privé, transformé, l’espace d’un mois, en restaurant de la rahma. « Je me sens rassuré en voyant la prolifération de ces lieux. Qui sait peut-être que demain je serai à leur place ? », lâche-t-il avec un brin de pitié envers les nombreux journaliers qui pullulent aux alentours de Ras El Ain, précisément au lieu dit Amara. Ces hommes qui accomplissent les tâches les plus ardues durant la journée sous un soleil de plomb sont heureux de trouver un endroit où rompre le jeûne sans dépenser leur salaire de misère qu’ils touchent au prix d’un effort titanesque. « Que Dieu leur donne encore et encore. Grâce à des gens comme ceux-là, on a des f’tour dignes », atteste Abdallah, originaire de Relizane. Au fil des minutes, le restaurant se remplit d’hommes. On échange des petites phrases en attendant le muezzin.

La plage pour rompre le jeûne...

A quelques kilomètres de là, sur le sable fin des Andalouses, on voit des familles et des groupes de jeunes scruter l’horizon. Le soleil est sur le point de disparaître. Ceux-là ont choisi de prendre leur f’tour en bord de mer.

La canicule qui sévit depuis le début du mois décide de plus en plus de jeûneurs à fréquenter les plages. Ils y viennent quelques heures avant le f’tour et y restent, pour la majorité, jusqu’à une heure tardive de la nuit. Certains y prennent le s’hour avant de rentrer.

Les plages sont les lieux les plus prisés et les plus fréquentés pendant l’été. Le mois de ramadan, qui s’y invite depuis quelques années, a chamboulé les habitudes des vacanciers.

Après avoir réduit le temps de fréquentation des plages, voire leur abandon pendant un mois, les Algériens recommencent à y aller, chacun à son rythme.

Dans les premières heures de la matinée, la plage est quasiment déserte, hormis les infatigables et passionnés pêcheurs à la ligne. Ces pêcheurs échappent ainsi à la pesanteur des longues journées de jeûne, renforçant leur patience et leur résistance.

Ce passe-temps leur épargne les tracasseries quotidiennes et les errances inutiles, voire les bagarres qui se déclenchent pour un oui ou un non.
Depuis quelque temps, on voit arriver des jeunes vers les coups de 16h. Les familles s’y invitent aussi un peu plus trad. « Je trouve que c’est bien de s’approprier à nouveau les plages durant le ramadan. Dans les années 1970 et 80, le jeûne n’empêchait pas les Algériens de se baigner », dit Mahmoud, ce pêcheur quinquagénaire au large sourire.

Torses nus et en shorts, beaucoup de jeunes passent ces fins d’après-midi à jouer aux cartes. Ils ramènent avec eux des salades, du pain et des bouteilles de boissons glacées qu’ils plantent en bord de mer pour conserver leur fraîcheur jusqu’au f’tour. « Il fait trop chaud à la maison. Je viens avec mes potes rompre le jeûne ici et me baigner toute la nuit. Je ne vois pas en quoi ceci pourrait altérer mon jeûne ? », s’interroge Yassine.

Non loin de ce groupe, une famille venait de louer deux tables et des chaises. Ils sortent de leurs couffins des récipients dans lesquels ils ont mis leurs mets. « C’est très agréable de manger ici », déclare la grand-mère, qui ne voit aucun mal à bousculer les us et les coutumes de temps à autre. Son fils renchérit : « C’est l’été, rompre le jeûne en bord de mer permet aussi de casser la routine qui s’installe dès le début du mois. » Son épouse explique que cette initiative leur permettait aussi de se baigner après le f’tour. « Mes deux filles sont si contentes et deviennent si calmes que nous dînons ici deux fois par semaine. »

Ces estivants du ramadan passent souvent une partie de la nuit en bord de mer, avant de se décider à rentrer.

Salons de glaces, chapiteaux, chicha, cafés et barbeqio, l’autre face de ramadan en été...

Il est 22h passées de quelques minutes. A Ain El Turc (la corniche oranaise), il y a déjà une foule nombreuse qui se balade le long du boulevard. A l’occasion de la saison estivale, les voitures sont interdites de circulation à la tombée de la nuit. Alors que les prieurs des tarawih n’ont pas encore terminé leur prière, nombreux sont ceux qui se sont déjà installés devant une bonne glace. Les cafés, très nombreux dans le coin, ne sont pas en reste. Les enfants qui accompagnent leurs parents trouvent leur bonheur chez les vendeurs de ballons et autres jouets lumineux. Les crêperies qui ses sont installés le long des trottoirs fonctionnent à plein régime.

Les vendeurs de grillades, eux, commencent à dresser les tables. Leur clientèle ne se présentera qu’à partir de 23h. La nuit sera une fois de plus longue. Ce petit village de la côte ouest ne connaîtra le silence qu’à l’appel à la prière du fedjr. Une autre journée de ramadan commence. Une autre soirée se prépare.