Laurent Fabius en compagnie de Avigdor Liberman, ministre Israélien des AE et vice-premier ministre... (DR)

La diplomatie française au Proche-Orient à un tournant

Gaza est une flaque de sang. Ses habitants sont dans le couloir de la mort, le sort suspendu à un hypothétique cessez-le feu. L'armée israélienne a foulé le sol de l'enclave, soutenue par des frappes qui pulvérisent d'un seul coup des quartiers entiers.

"Crimes de guerre !" dénonce un rapport du haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, dont une résolution approuvée mercredi 23 juillet demande l'envoi d'urgence d'une commission "pour enquêter sur toutes les violations du droit humanitaire dans les Territoires palestiniens occupés, en particulier à Gaza, dans le contexte des opérations militaires conduites depuis le 13 juin". Vingt neuf pays ont voté pour, les Etats-unis s'y sont opposés, l'Europe et la France se sont abstenues.

"Crimes de guerre" ? non, pas convaincant aux yeux de ces derniers le bombardement sauvage, jeudi 24 juillet, d'une école tenue par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) à Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza. "Il y avait 45 membres de notre famille ici et il y en a beaucoup que nous ne retrouvons pas", a raconté une femme au quotidien israélien Haaretz. Pas convaincant non plus le pilonnage aveugle, dans la journée du 20 juillet, du quartier de Chadjaiya, à l'est de Gaza City, faisant 73 morts au moins. D'autres victimes sont encore ensevelis sous les décombres. Pas suffisant enfin, les 100.000 civils contraints de fuir désespérément le déluge de feu à travers des champs de cadavres.

"Est-ce le terme crime qui dérange ?"

Hael Al Fahhoum, ambassadeur de Palestine en France, ne comprend pas l'attitude de Paris. "Est-ce le terme « crime » qui dérange ?" s'interroge-t-il. "Nous espérons voir au plus vite la France prendre ses responsabilités devant les données réelles, devant la tragédie sur le terrain. Tout le monde voit bien que le nombre de morts, dont de nombreux enfants, croît sans cesse, que le peu d’infrastructures dont dispose Gaza sont complètement détruites", rappelle le chef de la mission diplomatique.

"Nous nous situerons exactement dans la ligne de la tradition française", avait annoncé Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, devant l'Assemblée nationale pour justifier cette abstention. Nous nous sommes abstenus "parce que nous avons voulu respecter une unité européenne", a-t-il étrangement expliqué ensuite sur les ondes de France Inter. Embarras, incohérence... le cafouillage se poursuit depuis la "solidarité" avec Israël affichée par François Hollande au lendemain des frappes, avant d'appeler vaguement à la "retenue" devant l'ampleur du massacre. La diplomatie française au Proche-Orient s'enliserait-elle dans une confusion dont tire profit Israël ?

"On peut parler d'infléchissement important par rapport à la tradition "Gaullo-Mitterandienne" quand la France se trouvait à l'avant garde des grandes déclarations européennes, celle de Berlin en 1999 notamment, reconnaissant la nécessité de la création d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967", rappelle Yves Aubin de La Messuzière, diplomate, ancien ambassadeur, spécialiste du monde arabe.

Un héritage

"Sarkozy avait compris qu'il fallait y revenir avec ses déclarations sur Jérusalem capitale de deux Etats", ajoute-t-il. Dans tous les cas, la situation au Proche-Orient ne semble pas être "une priorité" de la France qui "n'exprime pas une vision claire et globale incluant Gaza et la Cisjordanie, exigeant d'Israël la levée du blocus et condamnant la poursuite de la colonisation, plutôt que de se contenter de la déplorer ", relève M. Aubin de La Messuzière.

Seul diplomate à avoir négocié avec le Hamas à l'initiative de Bernard Kouchner alors patron du Quai d'Orsay, il regrette "l'absence d'un dialogue direct avec ce mouvement qui a accepté d'intégrer un gouvernement de consensus sous l'égide de Mahmoud Abbas et semble être disposé à évoluer, à reconnaître les accords d'Oslo et à mettre un terme à la lutte armée". La France, "patrie des  Droits de l'Homme, ne dit plus le droit international, en se basant par exemple sur la Convention de Genève pour la protection des populations civiles. Et si elle avait voté la résolution demandant le lancement d'une enquête pour crimes de guerre, elle aurait sans doute entraîné les autres pays européens", regrette l'ancien ambassadeur.

Quel est le frein à la diplomatie française ?

Mais quel serait donc le frein à un tel déploiement de la diplomatie française au Proche-Orient ? "La position officielle de la France a changé depuis son intégration dans le commandement intégré de l’OTAN, initiative de Nicolas Sarkozy reconduite par François Hollande. Ce qui marque la fin d’une politique étrangère indépendante", répond l'ancien ministre des Affaires étrangères de Miterrand, Roland Dumas. "Lorsque j’exerçais mes fonctions le président me répétait souvent avant mes déplacements : « n’oubliez surtout pas que nous ne sommes pas dans le commandement intégré de l’OTAN ». La situation d’aujourd’hui change complètement la donne. S’agissant du Proche-Orient, notre ministre actuel (Laurent Fabius, ndlr) fait des voyages pour rien, il n’est nullement considéré, à l’inverse des visites de son homologue américain. Ce à quoi il faut aussi ajouter le premier ministre (Manuel Valls, ndlr) qui double carrément le travail du président de la République et en rajoute sur le sujet, comme vous pouvez le constater ", souligne-t-il.

La voix de la France est donc ainsi mise en sourdine dans une communauté internationale devenue elle même une fiction plutôt qu'un véritable bouclier de protection du droit international et des droits de l'Homme. Israël, puissance occupante, trouve à Paris un soutien d'appoint à celui des américains, un appui supplémentaire à sa stratégie coloniale d'obstruction à l'instauration d'un Etat palestinien.