"Nous habitons une vaste prison. Pour ce qui me concerne, j’ai perdu tout espoir d’en sortir un jour. Je ne réponds pas aux critères (malades et étudiants, notamment – NDLR) permettant de franchir le passage de Rafah vers l’Égypte, proche de mon domicile. Je ne peux imaginer non plus, un seul instant, sortir de l’autre côté, vers Israël..." (DR)

Gaza. « Rouler, rouler, sans aucune destination, pour résister au blocus »

Le témoignage de Zoheir, 51 ans.

Pour dire le calvaire d’une vie dans l’enclave, Zoheir, 51 ans, a une anecdote autour d’une oraison funèbre : « Le défunt va dans un lieu où il n’y a ni électricité, ni eau, ni nourriture, rien… », annonce l’imam. « Il se rend donc une nouvelle fois à Gaza », chuchote-t-on dans l’assistance… Zoheir estime qu’il n’y a pas plus à dire pour résumer le quotidien de ses compatriotes.

Il préfère exprimer la douleur de l’enfermement. « Nous habitons une vaste prison. Pour ce qui me concerne, j’ai perdu tout espoir d’en sortir un jour. Je ne réponds pas aux critères (malades et étudiants, notamment – NDLR) permettant de franchir le passage de Rafah vers l’Égypte, proche de mon domicile. Je ne peux imaginer non plus, un seul instant, sortir de l’autre côté, vers Israël. Et je crois que je ne verrai jamais Jérusalem. Cela reste pour moi un rêve, tout simplement… »

Pour avoir l’impression de respirer un petit air de liberté, Zoheir dit « prendre de temps à autre la moto et rouler, rouler, sans aucune destination ». Se déplacer constamment, par tous les moyens et sans but précis, « c’est un besoin irrésistible, une façon comme une autre, pour les Gazaouis, de résister au blocus », explique-t-il.

« L’on fuit, mais tout en restant ici, cela n’a pas beaucoup de sens, mais c’est ainsi. De toute manière, il n’y a rien d’autre à faire, le chômage dépasse les 80 %. »

Zoheir y échappe « de temps en temps ». Il est cuisinier traiteur. « Deux à trois fois par mois, en fonction des commandes », il prépare des repas « pour quelques riches qui fêtent des événements ». Et même eux « ne vivent pas bien ! » plaisante-t-il.

Plus que les denrées alimentaires qui restent chères et le risque, pour lui et sa famille, de tomber malades et de basculer dans « l’enfer » des hôpitaux dépourvus de moyens, ce sont les coupures de courant qui hantent Zoheir. « À l’heure où l’on se parle (17 heures – NDLR), il n’y a pas d’électricité. La coupure a commencé ce matin, depuis, on attend toujours… »

Alors « il faut brancher la batterie, afin, surtout, de pouvoir aller sur Internet ». La grande évasion…

Source: L'Humanité Dimanche N°599 du 1 au 7 mars 2018