Mohamed Soulimane, dans les coulisses de la Fira à Manresa (Nadia Bendjilali)

Rencontre: L’Orchestre Arabe de Barcelone à la Fira Mediterrània de Manresa, un message d’alliance des civilisations

« Libertad » (« Houria » en arabe) est le nom du troisième album de l’Orquestra Árab de Barcelona (ou OAB). L’OAB dédicace son nouvel opus et ses concerts à « tous les peuples qui osent sortir dans les rues afin de lutter…pour leur liberté », dans le sillage des printemps arabes. Ce vendredi 4 novembre à Manresa, alors que des trombes d’eaux se déversaient sur la ville de Manresa, les artistes ont présenté à un public aux origines plurielles leur message de paix. Paroles d’amour, subtil mélange des cultures arabo-européennes, fluidité entre les langues catalane et arabe tout autant que la qualité du répertoire ont fait de cette soirée un moment inoubliable dans la filiation de la période de la « convivencia » andalouse.

Rencontre avec le chef d'orchestre et violoniste talentueux de l’OAB, Mohamed Soulimane.

Médiaterranée : Le dossier de presse présente la naissance de l’OAB avec cette image poétique : « Les vents de la mer Méditerranéenne ont apporté jusqu'ici, à la fin du XXème siècle, les musiciens fondateurs de cet orchestre, de la même façon que les différentes cultures de la Méditerranée sont venues au long des siècles ».Racontez-vous la genèse de l’OAB?

Mohamed Soulimane : Alors que je vivais à Chefchaouen (ville du nord ouest du Maroc), j’avais déjà cette idée d’immigrer en Espagne et de m’y exprimer en tant que musicien. Dans la tradition arabe, l’ensemble musical existe sous la forme d’orchestre d’où le « O ». J’avais également dans l’idée de promouvoir un répertoire arabe ouvert aux influences du pays d’accueil, aux compositions originales des musiciens et à l'improvisation.

Le concept de l’OAB c’est donc ces trois choses mises en commun. Restait à rencontrer mes compagnons de route et la vie s’en est chargée. L’OAB c’est une aventure artistique mais aussi une nécessité, un engagement dans la vie de la cité : en Europe de manière générale, et en Espagne en particulier, nous avons le devoir de faire entendre cette voix arabe. La Catalogne ce n’est pas Paris ou Marseille, c’est à la fois un point de rencontre entre des gens de plusieurs origines et des cultures éloignées.

Alors que les arabes ont vécu huit siècles en commun avec les espagnols, j’ai été surpris à mon arrivée dans ce pays, de constater à quel point la méconnaissance, voire la peur, était présente. L’OAB c’est la démonstration d’une alliance possible contre la montée de la peur (en Espagne et au-delà) ! Le choix de musiciens arabes et de musiciens espagnols de créer un répertoire arabe (jusqu’ici du Maroc jusqu’à la Palestine) avec des chansons interprétées en arabe et en espagnol pour faire entendre les points de convergences entre ces différentes composantes et inventer un point de fusion artistique et nourrir le métissage (musical). Chacun des artistes du groupe a son identité propre. Ce sont ces identités dans leurs diversités qui se nourrissent du mélange et qui convergent dans une expression méditerranéenne commune.

Orchestre Arabe de Barcelone en concert

Légende: L'Orchestre Arabe de Barcelone en concert (photo OAB)



Durant le concert, vous échangez à plusieurs reprises avec le public, pour transmettre un message de paix et d’amour. Est-ce spécifique à ce concert ou la source de votre inspiration ?

M.S. : L’amour et le respect sont à mon sens les bases universelles du vivre-ensemble. Depuis 8 ans maintenant, nous sillonnons les scènes du monde entier avec ce message d’alliance des civilisations et nous avons construit nos trois premiers disques autour de mots symboles : d’abord « Baraka » (Chance) puis « Maktub » (Destin), à présent « Libertad » (Liberté). Et le quatrième, à venir d’ici deux ans, s’intitulera « El Weldine » (Les Anciens).

Notre message va au-delà la musique, il est à la fois social, politique, artistique et éducatif. C’est aussi le message de méditerranéens portés par le souffle des deux rives, d’une Méditerranée qui est notre « casa » / « dar » (maison) commune. Là où des forces travaillent à séparer, à marquer le choc des civilisations, l’OAB cherche, guidé par la voix de Mohammed Bout, les tonalités du clavier de Jordi Craig ou encore dans les sonorités rythmées des percussions d’Aziz El Jhodari, les accords de la basse de Joan Rectoret et les sons de mon violon à fédérer et réunir.

De grands musiciens ont collaboré avec l’OAB dont le grand pianiste et compositeur Omar Sosa connu pour le souffle spirituel de tout son être et de sa musique spirituelle …

M.S. : Nous avons la chance depuis le début d’être accompagné par de grands musiciens. Omar Sosa était présent dans « Maktub » et il est pour nous une ressource importante nous permettant d’affiner encore notre propos. Sur les 13 morceaux du nouveau disque, le répertoire est majoritairement constitué de compositions. Nous poursuivons dans le choix de présenter un répertoire chanté à plus de cinquante pour cent en arabe classique (plutôt qu’en arabe dialectal). Et le plus important est notre volonté d’épure. Omar Sosa nous le rappelle souvent : « Menos es mas » (message de portée du minimalisme : moins c’est plus).

Nous portons donc des poèmes d’auteurs contemporains mais aussi les répertoires soufi et gnaoui en les revisitant parce que nous sommes inspirés par la spiritualité. Un appel qui pour moi et les quatre musiciens marocains de l’orchestre correspond à notre foi musulmane et qui pour nos compagnons espagnols est dans le partage dans le respect et l’amour. Dans ces temps de changements, l’OAB porte un message d’importance, celui de l’espoir et de la liberté.

En savoir plus l’Orquestra Árab de Barcelona: www.naghmart.com
Disque « Libertad » en vente sur Harmonia Mundi-World Village 2011: http://www.hmtienda.es/orquestra-arab-de-barcelona-libertad.html