13 couples mixtes témoignent dans le doc' de Nicolas Ferran. (© Collectif Item)

Les amoureux au ban public, une plongée filmographique dans l'enfer des couples mixtes

Loin des clichés en vogue sur les « mariages blancs », le film documentaire Les Amoureux au ban public, réalisé par Nicolas Ferran, lève le voile sur une toute autre réalité : le spectateur est plongé dans l'enfer administratif que traversent les « couples mixtes ».

Les « couples mixtes ». Derrière cette appellation à la limite du verbiage technocratique, se cachent ces hommes et ces femmes qui, au-delà de leur différence de nationalité, française et étrangère, veulent donner libre cours à leur amour pour unir leurs vies. En dépit des difficultés administratives, juridiques et sociétales qui jonchent leur parcours, de manière toujours plus grande ces dernières années, en France.

On ne s'imagine pas le calvaire que vivent ces couples parfois durant plusieurs années, avant de pouvoir un jour vivre leur bonheur ensemble, comme un couple lambda. Ce film le raconte excellemment bien, avec les paroles de ces victimes : Nicolas Ferran* nous amène aux quatre coins de la France pour rencontrer ces amoureux mis au ban. Ils sont treize couples à témoigner des épreuves et des souffrances qu'ils ont dû endurer.

Des épreuves...

A l'image de Bernard et Aurélie, en Haute-Garonne. Les deux amoureux se sont rencontrés quelques mois après l'arrivée de Bernard en France pour une formation professionnelle. Ils étaient en couple depuis un an et projetaient de se marier un 4  octobre, lorsque les mauvaises nouvelles tombent : la préfecture refuse de renouveler le titre de séjour du futur mari, puis organise son retour dans « son pays d'origine ». Avec un vol prévu le 17 septembre, suite à son arrestation deux semaines plus tôt par la PAF (Police Aux Frontières).

La préfecture ne repoussant pas la date de ce vol, les deux amoureux ont dû bouleverser le calendrier de leur mariage, malgré les aléas que cela pouvait causer auprès de leurs 70 invités  : « On a fait le nécessaire avec la mairie pour avancer le mariage, confie Aurélie. Donc, on s'est marié le 16 septembre. Et depuis, voilà, on continue la bataille pour faire reconnaître ce mariage et avoir nos droits ».

Car un simple « oui » en mairie républicaine ne suffit pas en France, pour les amoureux mis au ban. Loin de là, puisque même après après leur mariage, ils doivent encore faire la preuve de la réalité de leur union chaque année, dans le cadre du renouvellement de leur titre de séjour.

« Marié le mardi, séparé le mardi soir », sourit Aurélie, en expliquant que, faute de papiers pour Bernard, les deux jeunes mariés n'ont pu roucouler ensemble pour leur nuit de noces. Ni pour les suivantes. Le risque d'interpellation et de reconduite à la frontière était trop grand.

Cette angoisse de l'interpellation et du renvoi dans le « pays d'origine », tous les « couples mixtes » la connaissent. Sans jamais réussir à l'apprivoiser vraiment...

Voir la vidéo de la bande d'annonce du film Les amoureux au ban public, réalisé par Nicolas Ferran :

« Sa plus grande peur c'était de se faire expulser comme ça, manu militari, comme un chien, et ça l'angoissait terriblement », raconte Elza à propos de son compagnon, Hichame (Puy-de-Dôme).

Un jour, le cauchemar est devenu réalité. C'est toujours Elza qui le raconte : « J'ai vu (...) l'homme qui allait devenir mon futur mari tabassé par deux agents, devant moi. Après ils ont appelé des renforts. J'ai vu toute la cavalcade arriver.... (…) C'était les cow-boys et les indiens chez moi ! C'était Hicham sur le canapé, sur le ventre, un genoux dans le dos, les menottes, etc... Il a été traîné dans les escaliers comme si c'était le pire des criminels ! Pris par les pieds et par les menottes et balancé dans une fourgonnette ! Il a passé le trajet allongé sur le ventre, avec le pied d'un agent sur les fesses, et le pied d'un autre agent sur la tête. Et il a entendu : « ben, tu vas être content, tu vas rentrer chez toi », des choses comme ça... »

Elza et Hicham s'étaient rencontrés pendant leurs études d'architecture. Ils vivaient ensemble depuis un an, lorsque la préfecture a refusé de renouveler le titre de séjour de ce ressortissant marocain. La police s'est présentée à leur domicile alors qu'ils avaient déposé un dossier de mariage. Arrêté et conduit dans un centre de rétention pour être expulsé, Hicham a finalement été libéré par le juge qui a considéré son arrestation illégale.

D'autres couples mixtes n'ont pas la chance de vivre sur le même territoire. S'ensuivent une dureté accrue de la séparation et de tout aussi grosses difficultés administratives, auprès des Consulats de France.

… et des souffrances

Dans l'Hérault, Grace en a fait les frais durant trois ans, comme Mockless, l'élu de son cœur. Elle-même issue d'un couple mixte franco-marocain, Grace, de nationalité française, est née au Maroc et y a vécu 18 ans. Elle a pris l'habitude d'y retourner chaque année en vacances depuis qu'elle vit en France. Jusqu'au jour où elle y a rencontré Mockless, propriétaire d'une librairie.

Ils se sont vus plusieurs fois à l'occasion de ces voyages annuels, avant que leur relation amicale ne devienne amoureuse, sous une flèche de Cupidon. Jusqu'à décider de s'épouser, sans imaginer le parcours du combattant qu'ils devraient ensuite parcourir ensemble. Durant trois ans. Parce qu'elle n'a pas su donner le nom exact de la librairie détenue par son amoureux, face à l'employé d’État civil qui l'interrogeait sur cette question, au Consulat de France du Maroc...

Les conséquences sont terribles. Le consulat doute, suspecte un « mariage blanc », puisque la suspicion est de rigueur, et confie l'affaire au procureur de la République de Nantes. Qui, lui, saisit la justice, avec les délais que l'on sait... Année après année, Grace ruine sa santé et ses économies pour se donner les moyens de partir chaque trimestre au Maroc, afin d'y retrouver son amoureux. Jusqu'à craquer, dans un sanglot : « Ils ont réussi... L'administration a réussi à détruire les gens ».

Tout cela pour que le procureur de la République de Nantes soit finalement débouté... Une émotion face à cette nouvelle que l'on peut partager presque en direct avec Grace. Grâce à la caméra de Nicolas Ferran.

Laissons le mot de la fin à Jeanne, du Nord, naturellement très marquée par les trois années de vie qu'elle a elle aussi perdues avec son mari, avant que leur situation ne soit à leur tour régularisée pour le meilleur de leur union : « on nous a fait chier pendant trois ans ».

N.E

Pour suivre l'évolution de la programmation en salles et commander le DVD du film Les Amoureux au ban public, de Nicolas Ferran (1h10, 12 euros), un film auto-produit et auto-géré, il suffit de se rendre ici, sur le site qui lui est consacré.

(*). Nicolas Ferran est l'un des fondateurs du mouvement des Amoureux au ban public créé à Montpellier en 2007, par un collectif de la Cimade. Il en a été le coordinateur national, avant de s'en éloigner pour réaliser ce film documentaire. Le mouvement est structuré en association depuis mars 2010.