L'élection présidentielle en Libye, censée contribuer à unifier le pays après une décennie de guerre civile, est toujours maintenue pour le 24 décembre prochain

Libye : l'incertitude plane sur les élections du 24 décembre prochain

Abu Bakr Marada, membre de la commission électorale libyenne, a déclaré jeudi à la télévision Al-Jazeera qu'il était devenu impossible d'organiser des élections le 24 décembre.

L'élection présidentielle en Libye, censée contribuer à unifier le pays après une décennie de guerre civile, est toujours maintenue pour le 24 décembre prochain. Néanmoins, les appels se multiplient en faveur d'un report et une situation délicate se profile. Qu 'elles soient maintenues ou reportées,  cela pourrait se transformer en source de déstabilisation pour le pays. Dans un effort de dernière minute, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a nommé la diplomate américaine Stephanie Williams comme conseillère spéciale pour la Libye. Elle est à l'origine des pourparlers ayant abouti à l'accord de cessez-le-feu d'octobre 2020. 
Les partisans du maintien du vote craignent un vide politique au cas où les élections n’ont pas lieu à la date prévue. Mme Williams a rencontré des responsables libyens à Tripoli dimanche. Elle a appelé toutes les parties à respecter "la demande écrasante du peuple libyen d'élire ses représentants par le biais d'une élection libre, équitable et crédible." Elle n'a cependant pas mentionné la date du 24 décembre dans ses commentaires publics.

Les États-Unis et d'autres membres de la communauté internationale souhaitent que le vote ait lieu. Lors de son départ le 8 décembre, l'envoyé spécial de l'ONU, Jan Kubis, a déclaré que l'élection devait avoir lieu dans les délais prévus, la qualifiant d'"étape d'une importance cruciale qui ouvre la voie à des solutions futures".

Les appels au report se multiplient

Ceux qui appellent à un report des élections affirment que la méfiance entre l'Est et l'Ouest reste trop profonde et volatile. Le gouvernement intérimaire n'a pas été en mesure d'unifier les institutions libyennes, en particulier l'armée, de démanteler les milices ou de garantir la sortie des mercenaires et des combattants étrangers. "Ces questions auraient dû être réglées avant d'aller aux élections. Ils ont besoin de plus de temps et d'efforts pour être résolus", a déclaré un fonctionnaire de l'ONU, sous couvert d'anonymat, car il n'était pas autorisé à parler à la presse.
Les partisants du report préviennent que les tensions qui existent, à moins de 10 jours des élections, pourraient plonger la Libye dans de nouvelles violences. Selon eux, le pays reste trop divisé entre des factions armées, qui sont susceptibles de rejeter toute victoire de leurs rivaux lors du scrutin. La présence dans la course de certaines des personnalités les plus controversées de Libye, dont le maréchal Haftar, ne fait que rendre la situation plus explosive. Tarek Mitri, un ancien envoyé de l'ONU pour la Libye, a averti que "sans forces militaires unifiées, l'élection constitue une menace pour la paix." "Comment pouvez-vous gagner l'argument dans une élection démocratique lorsque les armes sont chargées à bloc des deux côtés ?", a-t-il demandé.

Un processus électoral très fragile

Près de 100 personnes ont annoncé leur candidature, mais la commission électorale n'a toujours pas annoncé de liste définitive des candidats en raison de litiges juridiques. Elle aurait dû annoncer cette liste au début du mois. Les règles régissant l'élection sont également contestées, les politiciens de l'ouest de la Libye accusant le parlement basé à l'est de les avoir adoptées sans consultation.

La Libye a sombré dans le chaos après la mort de Kadhafi lors d'un soulèvement en 2011, soutenu par une campagne militaire de l'OTAN menée par les États-Unis. Le pays est devenu le terrain de confrontation de milices armées. Pendant des années, il a été divisé entre des administrations rivales à l'est et à l'ouest, chacune soutenue par des milices et des gouvernements étrangers.
En avril 2019, le commandant militaire Khalifa Haftar, basé à l'est du pays, a lancé une offensive visant à s'emparer de la capitale, Tripoli, et à faire tomber le gouvernement reconnu par l'ONU. Hafter a reçu le soutien de la Russie, de l'Égypte et des Émirats arabes unis. La Turquie et le Qatar ont répondu en renforçant leur soutien aux milices pro-Tripoli, en leur fournissant des armes et en mettant à leur disposition des troupes et des mercenaires.
Après 14 mois de combats, l'offensive de Haftar a échoué. Un cessez-le-feu fut conclu sous l'égide de l'ONU en octobre 2020, un groupement de factions libyennes appelé Forum politique,  a élaboré une feuille de route qui a conduit à la création d'un gouvernement intérimaire chargé de diriger le pays jusqu'aux élections du 24 décembre.

Les milices armées encore très actives

Les principaux chefs de guerre des milices sont de retour à l'action, et de manière impressionnante, puisqu'ils ont envoyé leurs hommes armés encercler le bureau du Premier ministre et d'autres bâtiments gouvernementaux dans la nuit de mercredi à jeudi.
Selon la Repubblica italienne, les milices impliquées dans ces incidents sont des "Nawazi", dirigées par le puissant Mustafa Ibrahim Gadur, et des "Gneiwa", dirigées par Abdelhani al-Kikli. Ces hommes armés ont été rejoints par Salah Bandi, un chef de guerre qui a passé des mois en première ligne du conflit lors du soulèvement contre le colonel Mouammar Kadhafi.
Les actions de ces milices ont été déclenchées après l'éviction du commandant militaire de Tripoli, Abdelbaset Marwan, remplacé par le général Abdelkader Khalifa, proche du maréchal Haftar, candidat à la présidentielle. Selon certaines rumeurs, les milices ont également pris d'assaut le palais présidentiel afin de rétablir Marwan dans ses anciennes fonctions. Ils ont même tenté de rencontrer le président Mohamed al-Menfi, mais celui-ci était en voyage à l'étranger.
Un responsable militaire, qui s'est adressé à l'Agence France-Presse a minimisé l'opération, a affirmé que les forces armées n'avaient pas encerclé de sites importants. Néanmoins, de telles opérations à moins de 10 jours des premières élections présidentielles de l’histoire du pays, donne une indication sur l’incertitude de ces échéances et sur la situation explosive dans laquelle peut se tenir ce vote.