La deuxième révolution égyptienne a pris de court les pays de la région... (Xinhua)

Egypte: La place Tahrir au Caire épicentre d’une secousse régionale

La destitution de Mohamed Morsi est un tournant dans le « printemps arabe », une réplique inattendue qui fait bouger les lignes au plan géopolitique, modifie l’équilibre des alliances et des rapports de force dans la région, sur fond de rivalités interreligieuses.

La «deuxième révolution » égyptienne a semé le trouble à Doha, capitale du Qatar. L’émirat était jusque-là engagé dans un soutien inconditionnel au régime des Frères musulmans en construction. Cette manne de pétrodollars apportait un léger soulagement à l’économie égyptienne au bord de la faillite, dirigée par un gouvernement incapable du moindre redressement. Les journalistes de la chaîne qatari d’Al-Jazira présents au Caire ont été les premiers à faire les frais de ce retournement, sommés de lever le camp le jour même de la chute de Morsi. Pris de cours et embarrassé, l’Emirat prend seulement acte de la destitution de son protégé. Il déclare « continuer à respecter la volonté de l'Égypte et de tout l'éventail de son peuple ». La dynastie princière qui tentait de s’installer dans un rôle de superpuissance régionale à la faveur du « printemps arabe » est désormais contrainte de revoir ses ambitions à la baisse.

Un temps éclipsée, l’Arabie saoudite s’empresse de se positionner dans le premier cercle des soutiens aux nouvelles autorités égyptiennes. Le Royaume a de vieux compte à régler avec les Frères musulmans qui avaient soutenu l’invasion en 1990 du Koweït par Saddam Hussein. Ryad ne voit pas non plus d’un bon œil l’influence sans cesse croissante de son voisin qui arrose de pétrodollars tous les mouvements islamistes et commence à lui faire de l’ombre. Du coup l’aide à l’Egypte change de mains. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ouvrent les vannes pour 3 et 5 milliards de dollars. Le Koweït qui ne veut pas être reste se déleste de 4 autres milliards de dollars. Cette frange des Arabes se tient désormais aux côtés de la nouvelle Egypte.

Damas a saisit sans surprise l’occasion au vol, saluant à son tour la chute de Morsi, lui attribuant le caractère d’une lutte contre « le terrorisme islamiste ». Bachar el-Assad y puise une justification de la guerre qui l’oppose à un mouvement insurrectionnel où les Frères musulmans du cru sont en première ligne.

La secousse égyptienne n’épargne pas Ankara. Recep Tayyip Erdogan condamne l’entrée en scène de l’armée égyptienne qualifiée « d’atteinte à la démocratie ». Celle-ci « peut seulement se bâtir dans les urnes », rappelle le premier ministre. La Turquie se montre encore plus ferme au moment des affrontements avec l’armée, qui ont fait 51 morts. Le ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, condamne un « massacre ». « L'Egypte représente l'espoir des aspirations montantes à la démocratie au Moyen-Orient, et la Turquie sera toujours solidaire du peuple égyptien », assure-t-il. La destitution de Morsi est en fait un coup dur pour l’AKP, parti islamiste au pouvoir confronté une opposition laïque plus que jamais déterminée à se faire entendre. Les Frères aux commandes de l’Egypte ouvraient en outre la voie à une alliance stratégique pour faire contrepoids aux relations tendues avec l’Irak et surtout la Syrie.

Parmi les perdants, figure aussi le Hamas, branche palestinienne des Frères. L’arrivée au pouvoir de Morsi offrait une formidable fenêtre d’opportunités pour les dirigeants de Gaza. L’allié égyptien aurait pu être un atout déterminant dans les rapports avec le Fatah de Mahmoud Abbas. Le Hamas craint désormais un durcissement des relations avec son voisin. L’armée égyptienne a d’ailleurs fermé, jeudi 11 juillet, le passage de Rafah aux frontières, arguant de troubles dans le Sinaï.

Israël enfin, ne s’est pas officiellement exprimé au sujet de la nouvelle situation égyptienne. L’Etat hébreu adaptera sans doute sa position en fonction de l’allié américain. «L'intérêt clair d'Israël, c'est que l'Egypte reste stable, orientée vers l'Occident et les Etats-Unis et ne se laisse pas entraîner par une vague d'extrémisme religieux», a déclaré Tzahi Hanegbi, député proche  de Nétanyahu, cité par la presse locale.

Conséquence directe de la deuxième « révolution égyptienne », la recomposition en cours des alliances au Moyen-Orient s’accompagne d’un recul des mouvements islamistes. Les Frères égyptiens étaient supposés être à l’avant-garde de leur émergence sur les scènes politiques des pays arabes après des années de clandestinité et de répression. L’arrivée de Morsi au pouvoir avait été vécue comme le signal d’un retour en force, redonnant des ambitions jusqu’aux islamistes algériens mis en échec depuis une plus d’une décennie. Sa destitution sous la pression d’un soulèvement populaire est source de désillusion dans les milieux islamistes Tunisiens, Marocains, Turcs, Libyens.

Le « printemps arabe » n’est pas pour autant accoucheur de démocratie. Le chemin est encore long, des luttes pour les libertés et le progrès social.