Un an après le décès de Georges Frêche, retour sur une personnalité hors norme.

Georges Frêche, une vie, une gueule

Georges Frêche, 9 juillet 1938 - 24 octobre 2010. Un an déjà que le président de la région Languedoc-Roussillon est parti. Emporté par une crise cardiaque au 6ème étage de l'hôtel de région, alors qu'il paraphait des registres, retiendra l'histoire. Une mort sur scène, qu'il désirait ardemment, il suffit de visionner cet extrait du film documentaire Le Président, réalisé de son vivant par Yves Jeuland, pour s'en souvenir :

Né à Puylaurens, dans le Tarn, Georges Frêche est devenu maire de Montpellier à 39 ans en l'emportant face à François Delmas, en 1977. Avec la fougue de la jeunesse et, surtout, une certaine confiance en soi, comme le montre bien le débat de l'entre-deux tours réalisé à l'époque :

Après cette première victoire aux élections municipales de Montpellier, Georges Frêche restera le premier magistrat de la ville durant 27 ans, avant de laisser son fauteuil de maire en 2004 à Hélène Mandroux, l'une de ses fidèles de la première heure, qui s'opposera finalement à lui, en vain, lors des élections régionales de 2010. Au cours de ces trois décennies, Georges Frêche a accompli son double rêve : garder le pouvoir et transformer Montpellier, cette « petite ville de province endormie », en une métropole, devenue aujourd'hui 8ème ville de France. D'abord en construisant le district, puis en créant l'agglomération de Montpellier, avant de poser les jalons d'une communauté urbaine qui, aujourd'hui avortée, se fera bien un jour, avec Nîmes ou Sète...

Une bête politique

François Mitterrand lui a fermé la route du gouvernement ministériel, mais Georges Frêche a été élu député plusieurs fois, entre 1973 et 2002. En 2004, il déloge Jacques Blanc, son grand ennemi politique en Languedoc-Roussillon, de son fauteuil de président de l'hôtel de région, dont il avait confié la construction aux bons soins de Ricardo Bofill. C'est cet architecte qui a réalisé le quartier montpelliérain d'Antigone et matérialisé, ainsi, l'une des grandes œuvres de sa vie politique, pensée avec son ami urbaniste Raymond Dugrand  : l’extension de Montpellier vers la mer Méditerranée, par la vallée du Lez. Une petite salle de l'hôtel de Région a été baptisée « François Mitterrand ». « Une petite salle pour un petit homme », aimait à dire le président de région, avec son sourire malicieux. Un sourire qui était malicieux, quand sa voix n'était pas tonitruante...

Car Georges Frêche avait de la gueule. Une gueule et de la gueule, plus exactement, sans parler de son intelligence... Une gueule souvent débordante, très appréciée par Louis Nicollin et Gérard Dépardieu, deux de ses grands amis qui n'ont rien à apprendre en la matière.... Cette gueule, c'est celle qui faisait un jour sa bonne fortune et un jour son malheur, avant de venir à nouveau à sa rescousse. Celle du chef, d'abord, du « big boss », comme l’appelaient certains de ses proches. Celle qui a tenu ses troupes durant 30 ans, comme un seul homme, et a su rester au centre du pouvoir local, au centre de ce que les commentateurs ont appelé la Frêchie. Cette gueule, c'est aussi celle qui en une phrase pouvait déchaîner les passions, qu'elles soient humaines, politiques ou médiatiques, ou un peu de tout cela à la fois. Par jeu de provocation ou par colère, tout simplement...

Ce fut le cas le 11 février 2006 quand Georges Frêche lâche le mot de « sous-hommes », face à Abdelkader Chebaïki, un fils de harki venu agiter l'hommage rendu ce jour-là à Jacques Roseau, une figure pied-noire de Montpellier. Georges Frêche qui, depuis 1977, s'est évertué à rassembler tous les réseaux représentatifs de Montpellier - puis du Languedoc-Roussillon -, des rapatriés d'Algérie à l'extrême-gauche, explose, lorsque Abdelkader Chebaïki lui glisse qu'il était le matin dans la ville voisine de Palavas-les-Flots au rassemblement organisé par quatorze députés UMP et UDF manifestant leur opposition à la décision prise par Jacques Chirac de retirer l'article 4 de la loi de février 2005 vantant le rôle positif de la colonisation. 

Voir la scène diffusée dans l'émission « On n'est pas couché », environ à la 5ème minute :

Scandaleux, ce dérapage (pour lequel Georges Frêche a été relaxé en 2009) n'avait pas entraîné son exclusion du PS, ni entamé la cohésion de la Frêchie. Mais le jour où l'élu disserte sur le nombre de blacks dans l'équipe de France, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase : l'homme fort de la région se trouve dans le collimateur de Martine Aubry, la première secrétaire du PS, qui obtient son exclusion en janvier 2007. En 2010, elle mandate Hélène Mandroux pour prendre sa place à l'hôtel de région, au prétexte que les propos de Georges Frêche sur la « tronche pas catholique » de Laurent Fabius seraient de nature antisémite. Ce qui ne colle pas vraiment avec le personnage, une fois de plus...

Voir le discours de Georges Frêche prononcé en juin 2007 à la « Journée de Jérusalem, capitale éternelle et indivisible d'Israël », organisée chaque année à Montpellier :

Le fiasco de la fronde instiguée par Martine Aubry est total : Georges Frêche s'en sort haut là-main, au cours d'une campagne où il a laissé parler ses émotions, comme il savait si bien le faire.

Voir cet extrait du film documentaire Le Président, réalisé par Yves Jeuland :

Grâce à sa gueule, Georges Frêche cristallise et catalyse le traitement médiatique des élections régionales au niveau national, surfe sur l'opposition province-paris, emmène avec lui 58 socialistes dès lors exclus du PS à leur tour, et écrase ses adversaires dans les urnes. Y compris Hélène Mandroux, à Montpellier. Même si les médias ont fait florès de l'enregistrement capturé dans l'un de ses cours, où il affirmait faire « campagne pour une majorité de cons »...

Le vieux lion qui s'est autoproclamé « roi des cons » l'a à nouveau emporté. Sans autocollant PS. Ce qui reste, sans conteste possible, sa plus grande victoire politique : Georges Frêche s'est hissé à la stature de Président au-dessus des partis. Ce qui n'est pas rien dans la 5ème République... Il restera l'une de ses grandes figures historiques, au-delà de tous les griefs qui peuvent lui être reprochés, sur ses petites phrases, comme sur son mode de gouvernement, souvent autoritaire et autocratique. Parce qu'il a su maîtriser les rouages de cette 5ème République. « Mon parti, c'est le Languedoc-Roussillon », qu'il disait...