marche du Collectif du 1 juin dans le centre-ville de Marseille... (DR)

A Marseille, le poison de la drogue et l’antidote citoyen

Des morts en série à la fleur de l’âge, rayés de la carte du trafic des stups dans un enchaînement épouvantable de règlements de compte… Marseille défraie régulièrement la chronique des faits divers. Le treizième assassinat depuis le début de l’année, un jeune homme de 25 ans abattu sur le port de plaisance de l’Estaque, a provoqué la descente du premier ministre à la tête d’un escadron de membres du gouvernement.

Promis : il y a aura affectation de 24 limiers pour affiner les enquêtes, remonter les pistes, démanteler les filières de trafiquants. Une compagnie de CRS viendra aussi temporairement en renfort, pour aider à « secouer le cocotier ». La méthode « prendra du temps », mais elle est efficace si l’on en croit Jean-Marc Ayrault et son ministre de l’Intérieur. Pour preuve : la guerre interne qui mine les réseaux, l’autodestruction à coup de kalachnikov. Les marseillais peuvent dormir tranquille…

« Nul n’est dupe, le gouvernement se bouge ainsi par crainte de la vague bleue qui menace la ville, à l’approche des municipales », note Stéphane Sarpaux, directeur de Marseille2013 Off, un patchwork de créations pour fédérer des « initiatives citoyennes », porter « un regard artistique sur les clichés de Marseille ». A commencer par la violence qui donne toujours du grain à moudre aux commentateurs en panne de sujet, relance, le temps d’un emballement médiatique, les sempiternels débats autour de l’inefficacité des élus.

«On peut rencontrer le même type de problème, dans n’importe quelle ville pauvre au monde. Ici, toutes les conditions sont réunies pour que le marché de la drogue prospère », explique Stéphane. Pour que l’économie souterraine prenne racine dans les cités ghettos à l’abandon qui ceinturent la ville.

Kalachnik’OFF est justement l’un des axes de programmation d’évènements de Marseille 2013 OFF. Idée forte, sûrement plus en phase avec l’âme de la ville que les gesticulations politiciennes : «Marseille est une ville populaire où les normes bourgeoises n’ont pas cours. La solidarité cimente la ville où l’on adore la débrouille et le système D. Le lien social ne tient à certains endroits qu’à un fil… ou plutôt à une barrette de shit. La violence, face noire d’une ville pauvre, envahit les quartiers et les jeunes sont en première ligne ».

Le lien social antidote au poison qui déstructure la vie des quartiers, pour recoller les morceaux de vies en fragments, est justement la raison d’être d’une majorité d’associations de la cité phocéenne. Leur terrain privilégié : la création culturelle et artistique « dans un rapport de proximité avec les habitants », précise Yves Favregas directeur de « L’art de vivre », une structure présente sur le quartier populaire de « La Belle de Mai ». Seule ombre au tableau, et pas des moindres, « la pauvreté des populations qui rencontrent avant tout des problèmes concrets et ne sont pas toujours disposées à participer à nos actions », explique Yves.

Lutter contre ce « mur », « résister » dans des conditions difficiles « pour reconstruire du lien »,  c’est le défi partagé par « Brouette et compagnie », un collectif de veille sur le même quartier, constitué, sans statut particulier, par des habitants qui « travaillent au mieux être, pour plus de convivialité », décrit Anne Pfister. Action phare du noyau dur, d’où l’appellation « Brouette » : la mise en place d’un dispositif de collecte et de distribution de livres. « Une réussite auprès des enfants, qui ont pour la plupart un rapport difficile à la lecture ». De plus, l’initiative comble un vide, « car il n’y a pas de bibliothèque pour les 45 000 habitants de cette zone urbaine de La Belle de Mai ».

Autre fierté du collectif : l’obtention d’un bus de nuit pour desservir le quartier enclavé, « permettre à la population de vivre comme partout ailleurs », insiste Anne. Et la violence alors ? « Il y affectivement les faits qui font l’actualité, on sait que la drogue fait des dégâts, que des dealers sont souvent là, pour faire leur beurre au coin de la rue », reconnaît-elle. « Mais, je veux vous dire une chose : ici, la misère est de loin plus visible que le trafic de drogue, le dénuement et la détresse des gens plus évidents que la violence, dont on nous rebat les oreilles ». 

A Marseille, 31% de la population vit avec moins de 954 euros par mois et le taux de chômage frise par endroit les 50%. C’est dire l’insuffisance des solutions exclusivement sécuritaires, et à quel point elles restent inadaptées.

« C’est une ville très vivante, et beaucoup de gens se débrouillent avec de petits bouts de ficèles pour faire de vrais projets », rappelle Marie Batoux du Parti de Gauche (PG).

Face aux échecs successifs des politiques de la ville, de la vacuité des dispositifs, dans la cité phocéenne, les énergies citoyennes font ainsi de la résistance pour limiter les dégâts. Elles proposent en tout cas un point d’appui pour un vrai changement en rupture avec une gestion de la ville à deux vitesses, nourrie de clientélisme et infestée de réseaux politico-mafieux.