Pour Cédric Nithard, ''le management à Midi Libre a quelque chose de politique''.

Tribune libre : Le jacobinisme védasien a perdu Midi Libre

Alors que la rédaction de Midi Libre fait face à un nouveau plan social, ils sont nombreux à pointer du doigt les choix stratégiques de la direction du quotidien des Journaux du Midi. Cédric Nithard a donné son point de vue dans une tribune libre que nous publions ici, sur Médiaterranée.

Deux ans après les tumultes suscités par l'annonce d'un plan social, la rédaction de Midi Libre (Groupe Les Journaux du Midi) doit à nouveau faire face à des coupes sombres dans ses effectifs !

Avec le nouveau plan d'économies qui a été présenté hier en comité d'entreprise, pendant que 50% des journalistes du quotidien régional étaient en grève, 18 postes seront supprimés (soit près de 10% de la rédaction) et les agences de Carcassonne et de Rodez baisseront définitivement le rideau, celle de Narbonne ayant été sauvée au fil des négociations menées les jours précédents.

Ce plan d'économies qui doit être approuvé ou pas, par un vote des représentants du personnel lors d'un prochain CE courant décembre, inquiète sérieusement le SNJ et les journalistes de Midi Libre qui auront vu en 2 ans, si les choses restent en l'état, leur rédaction perdre un quart de ses effectifs.

Une presse en crise

La crise nationale de la presse subie par la PQR avec une érosion de ces ventes et de ses revenus publicitaires (- 5,5 % des ventes papier et –7% du chiffres d'affaires publicité en 2013, pour Midi Libre), explique cet état de fait. Mais ce n'est pas la seule raison, pour de nombreux collaborateurs du titre qui pointent aussi, la responsabilité des choix stratégiques opérées par l'équipe dirigeante, une responsabilité qui incombe à Alain Plombat, le Président du Directoire des Journaux du Midi.

Ce matin même, sous couvert d'anonymat, un journaliste actuellement en poste à Midi Libre, expliquait à Médiaterranée que sa rédaction n'était « pas convaincue par le management de Plombat », avant d'étayer ainsi son propos : « Il n'y a pas suffisamment de confiance entre la rédaction et l'équipe intermédiaire et cela empêche un dialogue qui pourrait nous permettre de trouver des idées pour secouer le cocotier et sortir de la crise dans laquelle on s'enlise. Actuellement, à chaque fois qu'on veut sortir de la crise, on tape sur la rédaction. Mais sans journalistes, il n'y a pas de bon journal... » Et donc, moins de lecteurs qui mettent la main à la poche pour acheter un titre payant...

Un constat que dresse également Cédric Nithard, journaliste qui a travaillé durant 5 années à Midi Libre, de 2004 à 2009. Il exprime son point de vue dans une tribune libre que nous publions ici in extenso, sur Médiaterranée :

Le jacobinisme védasien a perdu Midi Libre

« Loin de moi l’idée de vouloir tirer sur une ambulance, jouer les ''je l’avais dit'' ou de montrer de l’aigreur envers un titre que j’admirais et pour lequel aujourd’hui j’oscille entre la tristesse et la consternation. Cinq ans et une cinquantaine de CDD (c’est sans doute cela, la culture sociale mise régulièrement en avant par Alain Plombat) qui m’ont fait voyager dans cinq agences, deux suppléments et le service internet. Durant cette expérience, j’ai pu vivre et observer les changements et les choix stratégiques du groupe. Et, surtout, comment ils étaient perçus par les rédactions.

Une crise de direction

Le rachat par Le Monde mal vécu par les rédactions locales marque le point de départ d’une longue agonie. Pour expliquer la situation actuelle, on pourrait évoquer la crise de la presse. Bien sûr qu’elle a joué un rôle. Celui d’accélérer la destruction des fondations d’un colosse aux pieds d’argile. Midi Libre possédait toutes les armes pour minimiser l’impact de cette crise. Si seulement sa direction avait plus écouté sa base, plutôt que de jouer la carte d’un clientélisme à la personne, sans prendre en compte les compétences de chacun : aux grandes gueules, les grands postes. Au sein de Midi Libre nombreux sont ceux qui ont de bonnes idées, de la volonté, du talent et beaucoup de passion. Mais ces qualités sont souvent tues.

Le management à Midi Libre a quelque chose de politique. Une critique et on vous catalogue rapidement comme un emmerdeur. Deux critiques et l’on commence à sentir le vent de la mutation lointaine. Et l’on a vu avec beaucoup de regrets des talents placardisés ou qui préfèrent partir. Cette politique explique sans doute les réactions tardives de la majorité des journalistes qui ont dû attendre de sentir la vague de la crise toucher leurs pieds avant de bouger. Tardives, car durant un temps les CDI n’étaient pas concernés. La variable d’ajustement économique étant incarnée par les CDD, évincés les uns après les autres comme des malpropres. Aux CDD ont succédé les stagiaires, dont certains enseignants n’étaient autres que des rédacteurs en chef. Aux agences d’assurer alors la formation au sein de l’entreprise.

Se tirer des balles dans le pied

Pendant longtemps Midi Libre semblait invincible, au dessus de la concurrence. Un solide navire qui ne souffrait que rarement de la colère d’un George Frêche vexé qui supprima tout apport publicitaire institutionnel. Puis les (r)évolutions arrivèrent et Midi Libre paniqua. Le gratuit 20 Minutes annonça sa venue à Montpellier. Plutôt que de renforcer son agence locale et d’assurer sa différence et sa force, Midi Libre choisit de lancer un an avant son propre gratuit Direct Montpellier Plus. Un gratuit à l’esprit jeune contre un payant vieillissant au sein du même groupe.

Deuxième choix catastrophique avec la manière dont Midi Libre a investi le net. Avec la gratuité à tout va, les lecteurs ne sont pas dupes et s’en rendent vite compte. Mal géré, mal dirigé, Midilibre.fr est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire dans la presse en ligne. Il s’agit d’ailleurs plus d’un service qui repatine les articles papiers et non d’une rédaction. Sur le site en lui même, agressions publicitaires de toutes parts, absence de ligne éditoriale, peu de contenu propre et très mauvaise mise en avant des événements locaux. La gestion des commentaires a déjà été soulevée de nombreuses fois. Véritable défouloir pour l’extrême droite, le site est devenu une référence du genre.

A ne pas vouloir faire de gestion humaine au cas par cas comme si c’était impossible, la réputation du journal papier s’en trouve également touchée. Certes, le site fait “des clics“ mais avec quel contenu : des faits divers graveleux, des polémiques, des starlettes de la téléréalité… Midilibre.fr ressemble plus à une version bordélique de Melty qu’à un site de PQR. Il est désormais temps qu’une personne qui possède un vrai sens journalistique reprenne le poste de responsable de la rédaction internet.

Abolir le jacobinisme védasien

Le constat est là. Midi Libre s’est embourbé dans un jacobinisme védasien au détriment des locales. Et pourtant, il aurait tant de choses à faire. Midi Libre n’a pas su optimiser ses deux suppléments Midi Loisirs et Midi Shopping qui auraient pu être de véritables aspirateurs à publicités et auraient mérité un excellent portage sur le net.

Les agences locales, véritables richesses du groupe, sont vidées de leurs secrétaires de rédaction, de leurs photographes et de leurs rédacteurs. Moins de monde, moins de pages, moins d’infos, moins de lecteurs… Les rédactions ne rajeunissent pas, se tournent de plus en plus vers l’info institutionnelle et font avec le peu de moyens qu’on leur accorde. A cela, vous ajoutez la concurrence qui surgit de partout et vous avez un cocktail de démotivation parfait.

Les solutions existent et sont relativement faciles à mettre en place à condition de mieux répartir les moyens vers les locales et d’insuffler le bon esprit à ses équipes ».

Cédric Nithard, ancien journaliste à Midi Libre

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