Au Maroc: dans la région du Souss Massa Drâa, l'arganier dernier rempart contre le désert

Agadir, ville martyre au bord de l’Atlantique. Un tremblement de terre l’a détruire en 1960. Aujourd’hui, elle ne sait plus s’arrêter de bétonner le littoral, pour offrir un cadre de rêve aux estivants européens, et des milliers d’immeubles en construction mangent à l’est la plaine sèche et caillouteuse. A cent kilomètres de leurs hôtels de luxe de ses piscines démesurées et de leurs touristes en tenues de golfe, s’élèvent les contreforts de l’Anti-Atlas. Des collines arides qui descendent vers des oueds presque toujours à sec.

Depuis les années 90, la sécheresse s’est installée durablement dans ce pays du sud marocain, où les oasis ne gardent de leur luxuriance passée que quelques maigres palmiers. Sur ce sol aride, la terre est si sèche et si fine qu’elle ressemble à du sable. Les paysans d’Azarane, une communauté de 1250 habitants qui compte cinq hameaux qu’on appelle les douars, y cultivent quelques céréales et plantes fourragères.

En cette mi-mai, sur les 50 hectares que se partage une quarantaine de familles, il ne reste que quelques pierres de luzerne faméliques. Depuis 1991 pourtant, un forage permet de capter l’eau qui circule dans un étroit canal jusqu’aux martelières. Ouvertes, elles déversent le précieux liquide dans les parcelles asséchées. Précieux, parce qu’il est rare et cher pour les paysans : 40 dirhams de l’heure, soit près de 4 euros. « Nous n’arrosons en moyenne que deux fois par mois et ce que nous récoltons ne nous permet pas de faire vivre notre famille », se désole Salhi Elaichi, président de l’association des usagers. Les fuites d’eau et l’évaporation sont énormes.

Pendant que les agriculteurs présentent la pompe vétuste qui marche au gaz, les enfants viennent chercher l’eau à dos d’âne pour la remonter jusqu’au douar. « Les villageois utilisent 2,5 litres d’eau par jour, nous 150 », constate Lefrou de l’association Verseau. Comme Serge Miquel, directeur de l’eau et de l’environnement au Conseil général de l’Hérault et Michel Deblaize de l’Agence de l’eau, ils sont là pour faire un état des lieux de l’installation et mettre au point avec la région marocaine un système de goutte à goutte qui permettra d’économiser 40% de le ressource et aux paysans d’arroser plus souvent des cultures plus diverses… à moins qu’une taxe ne vienne renchérir l’eau. Il n’en est pas question pour le moment. Ils étudieront aussi l’arrivée de l’eau potable dans les douars.

Un fruit qu'elles doivent disputer aux chêvres et aux chameaux 

Sur la plaine et les collines desséchées, pas une herbe folle. Seul pousse l’arganier et il ne pousse qu’au Maroc, surtout dans cette région du Souss Massa Drâa. Cet arbre oléagineux et épineux qui accompagne la vie des Berbères depuis des siècles. Mais qui est en danger. Depuis longtemps. Les premières dégradations humaines datent de l’arrivée des colons espagnols et portugais au Xve siècle qui préféraient exploiter la canne à sucre. Ensuite, les arganeraies ont subi les vagues de déforestations successives. Les dernières étant dues à l’introduction massives près d’Agadir des cultures maraîchères et horticoles, à ces tomates cerises en particulier qu’on trouve sur les tables européennes en toute saison.

En 1998, heureusement, l’arganeraie a été reconnue comme réserve de la biosphère dans le cadre du programme de l’Unesco. Au Maroc, une quarantaine de chercheurs travaillent sur les vertus de l’huile d’argan. Alimentaire, elle protège des maladies cardiovasculaire et serait un atout contre la prolifération des cellules cancéreuses. Cosmétiques, elle fait le délice des femmes marocaines depuis toujours. En France, sa vogue supplante celle du monoï.

En adoucissant leur peau, les femmes des villes ne peuvent s’imaginer ce qu’il faut de peine pour extraire ce sérum de beauté. Dans la commune rurale d’Amskrou, 42 femmes se sont groupées en coopérative, comme l’ont fait deux milliers d’autres dans une soixantaine de coopératives depuis 1965.
En été, elles ramassent le fruit de l’arganier sur des arbres qui leur appartiennent ou dans les forêts où existe un droit d’usage. Un fruit qu’elles doivent disputer aux chèvres et aux chameaux dont c’est la seule nourriture. Cette grosse olive sèchera pendant un mois au soleil. Vient ensuite le dépulpage. Sous la pulpe se trouve la noix

Un geste millénaire

Au cœur du village, dans une toute petite –trop petite- pièce, elles sont une douzaine, assises parterre, vêtues de tenues chamarrées et toutes voilées. Partout, des paniers où tous les déchets (pulpe, tourteau…) serviront à nourrir les animaux. Devant elles, une pierre, dans leurs mains un galet. C’est la partie la plus délicate du travail. Inlassablement, au risque de se blesser les doigts, elles frappent la coque pour la briser et libérer les amendons dont on tirera l’huile. Tous ceux qui se risquent à les imiter échouent lamentablement, ce qui amuse beaucoup les femmes.

C’est que leur geste est millénaire et la résistance de l’argane vingt fois supérieure à celle du fruit de notre noyer. En une journée, elles n’auront libéré qu’un kilo d’amendons qui doivent être absolument intacts pour éviter l’oxydation. Il faudra ensuite les torréfier et les broyer à l’aide d’une meule à bras pour obtenir l’huile alimentaire, les broyer seulement pour en extraire l’huile cosmétique et lui garder toutes ses qualités. L’huile se séparera de la pâte obtenue sous l’effet d’un pénible malaxage.

Les femmes travaillent ainsi de midi à six heures et demi. Pour cela, elles gagent environ 17 euros pour un litre d’huile qui nécessite une semaine de travail d’un bout à l’autre du processus. Un revenu moyen d’environ 100 euros (le SMIC est à 200) qui a donné aux femmes une certaine indépendance. A la fin de l’année, l’excédent est partagé entre elles. Une des plus jeunes coopératrice, Fatima, mère d’un enfant, apprécie cette indépendance nouvelle. "Nous sommes valorisées dans notre foyer, mon mari n’a plus tous les pouvoirs", assure-t-elle sans cesser de concasser les noix, même si, ajoute-t-elle, "ce n’est pas encore suffisant car le coût de la vie a augmenté".

Avant les coopératives, les femmes fabriquaient l’huile chez elles et les hommes la vendaient au souk en gardant l’argent. Ils n’ont pas tous apprécié le changement !
Mina Ait el Moudden est la directrice de la coopérative. Bac + 4 en biologie, une année de management et de gestion des entreprises, elle accompagne les femmes avec passion et lucidité : "Je veux que les plus-values reviennent aux femmes, c’est pourquoi je suis contre l’exportation du vrac".  Elle dit aussi que l’arganier "c’est le dernier rempart contre l’ensablement, contre le désert. C’est pourquoi nous voulons reboiser".

Les chercheurs sont en passe de maîtriser le bouturage de l’arganier. Et le reboisement serait le bienvenu après des années de sécheresse. Car la production a baissé, ce qui a des conséquences importantes pour le revenu des familles.

En visitant cette coopérative, André Vesinhet, le président du Conseil général de l’Hérautl, a invité les coopératrices à venir sur le stand du département durant la foire internationale de Montpellier, dont l’invité d’honneur est justement le Maroc. Peut-être de nouveaux débouchés pour la coopérative à l’heure où les industriels achètent le produit brut pour le traiter en France et font ainsi un bénéfice maximal d’une huile réputée comme étant la plus chère du monde.

Des prédateurs qui privent les femmes berbères d’un revenu et de la possibilité que leur offre la coopérative d’apprendre àlire et à écrire. L’obtention d’une IGN (indication géographique protégée) et la certification d’origine est pour le moment propriété des laboratoires Pierre Fabre. Le maintien d’une production artisanale aussi, face au risque d’industrialisation qui menace.