Coup de bambou sur la presse dans une démocratie de façade
Délit de lèse-majesté... Le souverain marocain Mohammed VI n’a pas apprécié le sondage publié sur les dix premières années de son règne. Son ministre de l’Intérieur s’est alors empressé de saisir les deux hebdomadaires qui ont s’en sont rendus coupables. Les magazines «Tel Quel» (francophone) et «Nichane» (arabophone), font lourdement les frais de ce «sacrilège» en étant interdits de vente. Idem pour le quotidien français Le monde, partie prenante dans la réalisation du sondage, qui prévoit de le publier mardi prochain.
Et avis aux amateurs ! Khaled Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ne mâche pas ses mots. "N'importe quel organisme de presse, qu'il soit national ou international, aura le même traitement". Et de souligner qu'il "s'agit d'une question de principe qui n'a rien à voir avec les résultats du sondage". "Ceux qui pratiquent ce sport", a-t-il averti, "savent à l'avance les résultats car ni le roi, ni la monarchie ne peuvent être l'objet de sondages d'opinion". La messe est dite.
Les deux hebdos ont déjà eu maille à partir avec les autorités. En janvier 2007, l'ex-rédacteur en chef de "Nichane", Driss Ksikes, et une journaliste avaient été condamnés à trois ans de prison avec sursis pour un article sur le rire et la religion ou la politique. "Nichane" a été interdit pendant deux mois et condamné à verser une amende de 80.000 dirhams (7.000 euros).
De telles mesures sont plutôt courantes dans les pays du Maghreb. En Algérie, la Justice fait preuve de beaucoup de zèle pour traiter la moindre petite plainte contre les journaux et les condamnations sont fréquentes. Le pouvoir use en outre de la manne publicitaire pour faire tranquillement pression sur les canards qui sortent des rangs. Le candidat Bouteflika a pourtant bien promis plus de « liberté d’expression » pour la presse, mais ses propos sont apparemment passés à la trappe. En Tunisie, l’administration de Ben Ali ne prend pas de gants pour réprimer sévèrement les journalistes jugés trop critiques envers le système. Sihem Bensedrine, pour ne citer que cet exemple, fondatrice de la radio indépendante Kalima et militante des droits de l’Homme, subit une répression permanente.
Malgré cela, et bien que de moins en moins nombreux, ces professionnels ne baissent pas les bras. Ils savent qu’au-delà d’une certaine limite leur ticket n’est plus valable, mais ils n’hésitent pas pour autant à franchir cette ligne rouge. Et donc à faire avancer les choses, en bravant les coups de bambous qui frappent la presse indépendante, première conquête de liberté et de progrès dans des démocraties de façade.