Jean-Marc Douillard dit tout ce qu'il pense du projet Idex.

Jean-Marc Douillard (CNRS) : “le gouvernement veut faire disparaître l'autonomie des universités”

Chercheur montpelliérain en chimie, Jean Marc Douillard est également secrétaire du Conseil scientifique du CNRS et responsable du SNCS-FSU. Il donne son sentiment sur le retoquage de la candidature de Montpellier à l'appel d'offres Idex. Entretien...

L’Idex de Montpellier vient d’être recalée par les experts du ministère. Etes-vous surpris ?
« Oui et non. Montpellier dispose d’atouts indéniables. Mais on sait que la situation universitaire pose des problèmes tout aussi indéniables. Personnellement, je pensais que la France (et donc son gouvernement) ne pourrait pas faire autrement que de mettre Montpellier dans l’axe d’être une des 10 grandes universités françaises.

Justement, à ce sujet, trouvez-vous pertinente l'idée de vouloir hisser dix universités au top niveau mondial ?
Pas vraiment. Depuis très longtemps, la France a fait le choix d’avoir une multitude de petites universités avec, à coté, de grands centres de recherche, plus ou moins liés aux universités. Si les centres de recherche sans lien avec les universités me paraissent une aberration, vouloir abandonner le système actuel d’un grand nombre d’universités ne me parait pas utile. En tout cas, je n’ai aucune certitude quant à l’efficacité de la chose...

Pourquoi ?
Parce que les villes françaises actuelles, quelles qu’elles soient, ne peuvent pas accueillir décemment le logement étudiant. C’est déjà le cas actuellement. Si maintenant on décide de transférer des masses d’étudiants, on va avoir des catastrophes ! De plus, la France n’est pas si grande que ça, les trains fonctionnent bien. On peut donc parfaitement échanger intellectuellement entre villes. Et le tissu industriel est lui aussi très réparti sur le territoire. Ce qui fait que je ne vois pas de réalisme au mythe du « cluster », cette idée de réunir de grands centres de recherche spécialisés, de grandes universités et de grands centres industriels pointus dans le même lieu.

C’était en tout cas la ligne politique ?
Du bout des lèvres ! Il y avait le discours, mais en aucun cas l’argent.

On parlait de dizaines de milliards issus du « grand emprunt »...
Quel « grand emprunt » ? C’était une augmentation de la dette, ce que tout le monde savait, déjà au début de l’année, impossible. Et les universités n’en auraient touché que les dividendes. Mais les promesses engagent ceux qui y croient, effectivement...

Revenons à Montpellier : quels sont ses atouts et ses faiblesses ?
Les atouts sont liés à la géographie de Montpellier. En externe, tout d’abord. La grande force en recherche, c’est l’agriculture/écologie, en lien très particulier avec la zone méditerranéenne et avec l’Afrique. L’implantation de l’ancien Orstom (IRD), le soutien de Vézhinet (président du Conseil général de l'Hérault, Ndlr) quand il était adjoint de Georges Frêche, la tradition, tout ça fait de Montpellier une place forte mondiale de ce sujet. Comme en plus l’université des sciences est très forte en recherche et que la médecine a une grosse tradition et quelques académiciens de haut vol, le pôle scientifique autour des sciences biologiques, naturelles, d’environnement et de santé a un sens. Qui peut se développer raisonnablement sur la ville grâce à une géographie interne, qui permet l’implantation d’un nouveau campus du coté de Castelnau le Lez. Celui-ci permettrait une rénovation raisonnable et intelligente des anciens campus. Peu de villes ont cette liberté foncière sur la cote sud ou sur le sud, en tout cas, pas Marseille ou Grenoble. Donc, Montpellier me parait incontournable.

Mais ?
Mais les atouts sont des handicaps. Car l’agronomie, la pointe, le top, ne dépend pas du ministère de la recherche. Et son modèle de fonctionnement fait peu appel à l’université et à l’auto-gestion par les professeurs, système politique traditionnel à l’université (c’est d’ailleurs un des trucs auquel s’attaque Voldemort dans Harry Potter !). D’autre part, les séparations en trois universités, et même entre écoles (chimie, notamment) et université ont des raisons, des traditions, un poids qui ne risque pas d’être effacé. On pourrait donner un exemple de ça avec la possible réorganisation d’un campus universitaire unifié sur Montpellier. On pourrait très bien imaginer une nouvelle répartition qui aurait une logique. Avec par exemple le sport non loin du stade Philipidès, utilisant des locaux de la fac de pharmacie ou alors carrément ceux de l’EAI (Ecole d'Application de l'Infanterie déplacée à draguignan, Ndlr) : le centre administratif irait dans les locaux de l’école de chimie qui ne peut rester si près d’un centre-ville. Les anciens centres administratifs de Montpellier 1, 2, et 3, désormais recentrés, ouvriraient l’espace d’un centre de congrès à la vieille fac de médecine et de nouveaux espaces sur Triolet pour récupérer l’école de chimie (sécurisée de ce fait). Cela permettrait aussi de faire un vrai muséum unifié avec la vieille médecine et l’ancienne fac dentaire, etc… Si l’on se met à réfléchir comme ça, ce qui n’est peut être pas la meilleure idée, mais qui pourrait avoir de l’allure et une logique économique, on se rend compte qu’il faut l’accord et l’investissement commun de trois facs et d’une école, qui ont des rythmes électoraux différents, des logiques internes différentes, etc. C’est tout aussi inextricable que le rachat par la mairie des terrains de l’EAI, dont on ne sait d’ailleurs même pas s’ils appartiennent aussi légalement que ça à l’armée… Donc d’un coté, un ministère de l’agriculture qui ne joue pas le jeu universitaire… de l’autre des universités qui sont affaiblies par leur désunion, qui a pourtant de vraies bonnes raisons.

Pourtant, le projet de l’Idex parlait d’une unification de Montpellier 1 et Montpellier 2 !
Qui y a cru ? Réunir les médecins, les pharmaciens, les scientifiques alors que la conclusion de Mai 68 et de la scission qui s’en est ensuivie étaient qu’à Montpellier, ils ne pouvaient pas fonctionner ensemble ? Le temps semble avoir passé. Mais en fait, les deux modèles de gestion et de fonctionnement de la vie du campus sont totalement différents entre les deux universités. Parce que sciences est très homogène d’une part et s’est construit à partir d’un grossissement rapide et continu de la recherche. Et parce que Montpellier 1 a plutôt grossi grâce à ses étudiants et à des secteurs qui les attirent de manière particulière. Médecine, c’est évident, mais sciences éco, droit et surtout sport, cela marche aussi très bien. Il y a de vraies différences, qui ne sont pas que des différences de caractères des professeurs d’université.
En fait, l’union annoncée était une tentative désespérée de masquer le départ de l’université de sciences humaines (qui a quitté le projet de fusion Idex fin 2010, Ndlr). Or aujourd’hui, faire une université globale digne de ce nom sans sciences humaines n’a aucun sens… et aucun intérêt. Et tout le monde le savait.

Personnellement, êtes-vous déçu par cet échec ?
Non. Je n’ai jamais cru que l’argent arriverait. Et le projet était avant tout politique. Avec Idex, le gouvernement veut faire disparaitre le fonctionnement auto-gestionnaire des universités, que nous appelons « l’autonomie académique », ou l’autonomie, peu importe. Cela existe partout dans le monde, mais cela paraît à certains un peu trop gauchiste, effectivement. Ils ont fait miroiter de l’argent pour que l’on passe à des systèmes où les élus, les conseils, les doyens, tout ça, disparaissaient au profit de fondations financières.

Pourtant certains universitaires défendent le processus...
Oui, parce qu’il recoupe l’idée qu’il faut un petit nombre d’universités dignes de ce nom et un grand nombre de petits collèges universitaires dans les autres villes. Mais comme je l’ai dit, je ne suis pas sûr que l’idée soit bonne en général… et je pense qu’elle n’est pas bonne pour la France en particulier. Mais je peux me tromper. En tout cas, des collègues pensent qu’il faut aider les Idex pour aller vers ça, et depuis longtemps.
D’autre part, le fait que les Universités possèdent un capital et leurs bâtiments est un cas assez commun en Angleterre et aux Etats-Unis.Beaucoup de collègues ont envie de ça, sans doute à raison. Mais le capital des universités anglaises date de la réforme anglicane d’Henri VIII Tudor… et celui des Etats –Unis date du 19ème siècle, un moment sans état fédéral, ou quasiment. Cela fait un long temps. Reconstruire en France cette masse de capital ne peut pas se faire en un quinquennat, peut être même pas en 10 quinquennats. Mais certains veulent y croire.
Il y a peut être enfin l’idée politique qu’avoir une centaine d’universités est incontrôlable et que la politique scientifique s’y dilue. C’est peut être vrai. Mais d’une part, on a en collaboration avec ça le système très centralisé qu’est le CNRS (ou l’Inserm). Et d’autre part, une fois qu’on aura un ou deux géants universitaires, ils seront tout aussi incontrôlables et probablement des prédateurs pour les autres. Mais certains ont peut être envie d’être chef ou prédateur !?
Pour ma part, je pense qu’une diminution du nombre d’organismes de recherche et une mise en réseau assez transparente des universités, centralisée à partir du ministère, y compris en instaurant un certain autoritarisme, mais cette fois transparent, ne serait pas forcément débile. Actuellement, rien n’est « autonome » mais il ne faut surtout pas le dire. C’est enfantin de croire que ça puisse tenir ».