Le comité de direction de la SNCM a trempé sa plume dans le vitriole, au cinquième jour de cette nouvelle grève économiquement dramatique. (DR)

Le comité de direction de la SNCM adresse une lettre ouverte aux marins CGT

Depuis le 2 mai, les marins CGT de la SNCM et de La Méridionale sont en grève, bloquant tous les bateaux de ces deux compagnies à quai. Lundi, l'assemblée générale organisée par ce syndicat a reconduit ce mouvement qui revendique des « engagements écrits » de François Hollande, tout juste élu Président de la République française ce 6 mai 2012 (sic!), concernant leurs revendications portées politiquement par le PCF au Sénat, le 22 mars dernier, d'une proposition de loi obligeant l'adoption du pavillon premier registre français aux compagnies étrangères assurant la liaison Corse-continent. Une proposition de loi à laquelle François Hollande serait favorable, selon les déclarations que Benoît Hamon, le porte-parole du PS, aurait faites à la CGT, rapporte l'AFP.

A l'orée de la pleine saison touristique, cette nouvelle action collective a tout pour révolter la comité de direction de la SNCM qui a écrit hier une lettre ouverte aux marins CGT. Une lettre incisive dans laquelle, il dresse notamment le bilan économique désastreux de ces six nouvelles journées de grève, qui représente une perte immédiate de « 1,8 million d'euros ». Nous publions ici cette lettre ouverte, in extenso, sur Médiaterranée.

Lettre ouverte aux responsables de la CGT des marins de Marseille

« Après les échecs complets des conflits de février 2011 et février 2012, vous affichez avec la grève démarrée mercredi dernier une logique de destruction manifestement jusqu’au-boutiste.

Le principal motif de l’arrêt de travail, et de sa reconduction, serait l’attente d’un courrier de François Hollande par lequel il « s’engagerait » sur la question du pavillon français…. Quelle vanité de penser que le nouveau Président de la République puisse considérer comme prioritaire cette question, au point de vous écrire personnellement avant même son investiture ! Mais peut-être avez-vous l’intention de rester en grève jusqu’à la prochaine session de la future assemblée, après les élections législatives de juin ?

Le « mouvement national » déclenché mercredi dernier ne touche que la SNCM et la CMN, et vous êtes les seuls à croire politiquement et juridiquement possible que « c’est l’environnement qui doit s’adapter à nous ». Vous mentez aux marins en leur laissant espérer que leur avenir est dans les solutions du passé, et que la législation européenne va changer parce qu’il suffit d’« exiger » des « engagements » des pouvoirs publics, des politiques, des actionnaires…

Ce mouvement est une insulte aux salariés de la Compagnie, qui travaillent, notamment en agences et sur les quais, pour gérer les annulations et le mécontentement de nos clients, après avoir réussi à les convaincre de nous faire confiance. Nous sommes 1700 salariés en CDI, et une fois de plus une toute petite minorité (150 personnes) a l’arrogance de bloquer toute la Compagnie. Les marins embarqués et non grévistes perdent depuis mercredi leurs forfaits HCHS et les taux congés d’embarquement : merci qui ?

Ce mouvement est un crachat au visage de nos clients, insulaires, transporteurs, ou particuliers. Après 6 jours de grève, nous avons perdu, au profit de Corsica Ferries, 17000 passagers et plus de 1100 remorques (14000 ML), ce qui représente une perte de recette de 1,8 Million d’euros. Croyez-vous donc que les clients soient un « avantage acquis » et que nos bateaux puissent se remplir avec des revendications ? Avez-vous seulement conscience que nous n’existons que parce que nous avons des clients, ou pensez-vous que l’État va financer des bateaux vides pour garantir vos emplois ?

Ce mouvement est un sabotage pur et simple du travail mené par la Direction et les équipes, vers nos actionnaires et les décideurs corses, pour renouveler la DSP et préparer notre avenir avec le renouvellement de la Flotte. Les négociations menées en Corse et à Paris sont difficiles, et votre action fragilise évidemment la position de la Compagnie. Mais sans doute est-ce votre objectif, puisque vos leaders affichent l’ambition de faire chuter la Direction… Le projet de vie porté par la Direction demande bien sûr des efforts ; votre attitude, sous couvert d’une exigence de politique sociale (pour les autres !), est en pratique un sabordage suicidaire, non pas pour l’avenir, mais à l’œuvre en ce moment.

Ce mouvement est un magnifique cadeau fait à notre principal concurrent. Vous vous êtes opposé à l’ouverture de Toulon entre autres par crainte de « siphonner » Marseille : à la veille de votre mouvement, nous enregistrions 70000 ventes sur Toulon, tandis que Marseille est en progression de 6% sur la saison et 10% sur l’année. Votre « brillante » analyse stratégique s’avère démentie par les faits, comme l’année dernière où, grâce au redéploiement de Nice vers Marseille et malgré votre grève de 47 jours, nous avons réalisé une saison historique. Vous vous prétendez les « sauveurs » de la Compagnie face à Corsica Ferries : en pratique, après avoir retardé de 3 semaines l’ouverture de Toulon, vous donnez maintenant à Corsica Ferries l’opportunité d’affréter un navire supplémentaire pour récupérer nos clients, et d’alimenter sa campagne de publicité parue dans la presse ces jours-ci (« Pour nous la Corse, c’est Corsica ») : merci qui ?

Ce mouvement mène la Compagnie sur une voie sans issue : alors que vos revendications ne s’adressent pas à la Direction, c’est la SNCM qui subit de plein fouet les conséquences dramatiques de votre action. Pour satisfaire aux ambitions personnelles politico-syndicales d’un petit groupe, vous mettez la Compagnie en danger. Depuis 18 mois, votre « stratégie » d’opposition systématique aux orientations et actions menées par la Direction est un échec complet : non seulement vous n’avez rien « gagné », mais vous avez fait perdre, à la Compagnie des clients et des recettes, et aux marins des journées de salaire ; plus sûrement, vous avez encore sali et dégradé l’image de la SNCM. Il n’y a aucune négociation possible sur les revendications que vous portez, et donc pas de sortie positive possible de ce conflit qui n’a rien d’interne. En bloquant et empêchant tout dialogue social, en détruisant notre capacité à convaincre clients, élus, politiques, financiers, de nous faire confiance, vous portez la très lourde responsabilité d’hypothéquer notre avenir.

Il est urgent que vous changiez d’attitude et de stratégie, il est urgent que les apprentis sorciers qui vous entraînent mesurent la gravité de leurs actes. Rien ne justifie la poursuite de cette grève. Chaque jour qui passe est un jour de trop ».

Le Comité de Direction de la SNCM

Mise à jour du 08.05.12, à 19h55 : Fait historique à la SNCM, deux bateaux, le Jean Nicoli et Le Corse, ont appareillés cet après-midi avec quelques marins grévistes à bord, alors que jusqu'ici, il était d'usage dans cette compagnie, qu'un navire avec un marin gréviste se trouvait systématiquement bloqué à quai, selon une source de l'entreprise. Ainsi, le Jean Nicoli a cet après-midi quitté le port d'Ajaccio pour rejoindre celui de Toulon, tandis que le Corse vogue de Toulon vers Bastia.

Voici le communiqué diffusé aujourd'hui par la SNCM en commentaire de ces manœuvres : « Notre flotte est bloquée depuis six jours maintenant par une grève déclenchée par la CGT Marins est qui ne concerne que 120 personnes sur plus de 2000 salariés.

Ce "mouvement" qui n'a comme seule véritable objectif que de créer un bras de fer avec le nouveau Président de la République a déjà coûté très cher à notre Compagnie et occasionné de trop nombreux désagréments à tous nos clients et à l'économie de la Corse.

La Compagnie refuse depuis le début d'être otage de cette action suicidaire de la CGT Marins et s'efforce de trouver des solutions pour honorer tous ses engagements de service public vis à vis de la Corse comme de l'Algérie ou de la Tunisie.

La Compagnie réaffirme son refus du dumping social, réaffirme son attachement au pavillon français mais considère que l'affaiblissement de la SNCM par la grève est une impasse mortifère.

Ainsi, la Compagnie a décidé ce soir de faire appareiller deux de ses navires dans le respect de toutes les mesures de sécurité, le Jean Nicoli et le Corse, malgré la présence de quelques marins grévistes, afin d'assurer sa mission et de retrouver le plus rapidement possible une activité normale.

Cette décision fait suite à une série de mesures prise par la Compagnie afin de faire respecter les règles, de faire respecter nos engagements et d'être à la hauteur de la mission de service public qui est la nôtre ».

Mise à jour du 09.05.12, à 11h00 : L'assemblée générale organisée ce matin par les marins CGT s'est achevée par un vote en faveur de la reprise du travail.

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