la popualtion syrienne se mobilise contre "une agression étrangère"... (xinhua)

La guerre coûte que coûte : pourquoi ?

Plus de 100.000 morts après, dont près de 2000 gazés, adultes et enfants anéantis par un poison foudroyant, des rédempteurs autoproclamés décident de « punir », pour l’exemple, le régime en furie de Bachar al-Assad déterminé à noyer l’insurrection dans le sang. Lumière sur les ressorts d’une guerre éclair annoncée…   

Tracée un temps par Barack Obama, « la ligne rouge » à ne pas franchir a fait long feu dans l’opinion. La justification de l’intervention par le recours à l’arme chimique n’a pas vraiment convaincu. Elle a surtout nourrit le débat entre experts sur le thème de la « crédibilité » en jeu des Etats-Unis et divisé les intellectuels sur le respect du droit international. Le caractère dissuasif de frappes ciblées pour la suite des évènements est un argument qui ne pèse pas lourd vu le contexte de guerre civile qui ensanglante la Syrie, aux drames épouvantables plus que jamais imprévisibles.

Pas plus que la « punition », la supposée « protection » des populations civiles ne convainc pas non plus, tant la supercherie s’est confirmée au fil des ans. Un bref regard sur l’histoire récente de la Syrie en fournit les preuves indiscutables. « Pendant plus de quarante ans de pouvoir Assad père et fils, la Syrie fut martyrisée sans que les chancelleries occidentales s’en émeuvent », rappelle à juste titre l’écrivain et universitaire d’origine syrienne Boutros Hallaq (1). « L’Occident y trouvait son compte en terme de profits économiques et de géostratégie, au même titre qu’en protégeant les systèmes archaïques de la presqu’île arabique ou les régimes des présidents Moubarac et Ben Ali qu’il a soutenus pratiquement jusqu’à l’extrême possible », dénonce-t-il. Nul n’est dupe donc, aujourd’hui en Syrie, comme hier en Irak et en Libye, il ne s’agit pas plus d’aller au secours des civils et encore moins d’instaurer la «Démocratie», argument fallacieux brandi en son temps par Bush outre le mensonge sur la présence d’armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein.

Les ressorts de la guerre coûte que coûte se trouvent en revanche à la conjonction d’un ensemble d’intérêts des puissances en présence sur l’échiquier géostratégique et de leurs alliés respectifs. Facteur déterminant, le bras de fer entre les Etats-Unis et la Russie est à n’en point douter au premier plan. Poutine a saisit l’occasion du dernier G20 pour réaffirmer son soutien à Bachar  al-Assad, profitant allègrement de la division du camp occidental et de la prudence des pays arabes. La Syrie est en effet le dernier allié arabe de la Russie au Proche-Orient, les deux pays entretiennent des relations commerciales et militaires. Poutine n’est pas près de laisser rompre l’axe Téhéran-Damas-Moscou. De plus, un spectre hante le maître de Moscou : l’expansion du terrorisme sunnite dans le Caucase qui pourrait trouver un terrain favorable avec le soutien de l’Arabie Saoudite en guerre contre Assad aux côtés des Etats-Unis.

Poutine joue donc en quelque sorte son va-tout, d’autant que la série des « printemps arabes » pourrait bien finir par booster une opposition interne qui ne cesse de prendre des forces.

La détermination de président russe est à coup sûr l’élément moteur de la radicalisation de la position américaine, le déclencheur de son intervention au nom de la fameuse « ligne rouge » franchie. Obama se prépare à frapper pour sortir de l’impasse dressée par Poutine, envoyer surtout un message de fermeté à l’Iran et porter un coup aux relations entre le régime de Damas et le Hezbollah libanais, et enfin démontrer aux pays émergents opposés aux frappes sans le feu vert de l’ONU que le désengagement militaire de l’Amérique, en Irak et en Afghanistan, ne l’empêche pas d’assumer son rôle de premier gendarme.

Comment la France, seul pays résolu à entrer en guerre aux côtés de l’Amérique s’inscrit-elle dans ce schéma ? Le langage sur le registre moral de François Hollande prêt à engager une expédition pour « punir » a surtout amusé les commentateurs. Pas plus que ces derniers, le président français ne croit en réalité aux effets punitifs des frappes. Il sait en revanche que dans la lancée de la guerre au Mali, sa famille politique peut éventuellement tirer profit d’un retour en force de la France sur la scène internationale. L’obstination de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, ses positions radicales, auront largement prouvé la farouche détermination des socialistes français à redorer leur blason aux yeux de l’opinion. Une « comédie », selon Régis Debray, directeur de la revue Médium, jouée par ces derniers « qui réalisent enfin le rêve qu'ils caressent depuis la crise du canal de Suez : être le brillant second à la place de l'Anglais ».

La guerre, solution du pire, a ainsi des ressorts camouflés qui la rendent inéluctable. La question rebondit désormais sur le terrain des conséquences à la portée encore incalculable. Une chose au moins est sûre, les populations civiles syriennes vont encore payer un lourd tribut. Les frappes vont alimenter un bain de sang. Et jeter surtout un voile noir sur toutes les opportunités ratées, les solutions ignorées pour aider le peuple syrien à sortir de ce cauchemar. Des alternatives sacrifiées sur l’autel des intérêts respectifs des grandes puissances et de leurs alliés. A commencer par le soutien aux forces authentiquement démocratiques et progressistes dans les pays arabes et par le juste règlement du conflit palestinien pour couper l’herbe sous les pieds à tous les intégrismes. Des espoirs voués à l’échec dans ce triste monde de la guerre permanente.

(1)La société syrienne face aux stratégies occidentales