Las Migas en concert au Théâtre Kursaal de Manresa le 5 novembre 2011 (DR)

De retour de… La fira Mediterrània de Manresa : de l’audace pour un renouvellement des traditions

PAR NADIA BENDJILALI

Si la pluie s’est invitée à la Fira Mediterrània de Manresa du 3 au 6 novembre dernier avec ses 208 mètres carrés d’eau tombés dans la capitale du Bages (Catalogne) en quelques jours, contraignant les organisateurs à annuler une partie de la programmation (14 spectacles) et diluant l’atmosphère dans les rues les deux premiers jours de la foire, cette quatorzième édition est bel et bien un succès par sa démonstration éclatante de propositions artistiques reliant tradition et création contemporaine et par l’audience qu’elle a eu auprès des professionnels des industries culturelles, et son ouverture de plus en plus évidente à l’international.

Avec ses 1251 professionnels (1) venus cette année (soit 135 de plus que l’an dernier) et une présence internationale en augmentation significative (plus 12,39% par rapport à 2010), ce festival s’impose de plus en plus comme un des rendez-vous de la fabrique et de la diffusion de la culture en Méditerranée. Quant aux spectacles payants, certains ont joué à guichets fermés, et malgré les annulations enregistrées, les ventes de billets ont connu une augmentation de près de 25% par rapport aux chiffres de l’édition précédente grâce au déluge de propositions programmées allant de la venue de « guests stars » à des commandes de créations audacieuses. Les restrictions dans le budget de la Fira (de l’ordre de 15%) et les conditions météorologiques ont toutefois eu des répercussions sur cette édition : des propositions de spectacles dans les rues de la ville réduites doublées de solutions de repli suite aux intempéries trop peu nombreuses.

Il n’en reste pas moins vrai que ce festival vit et respire avec son territoire : durant ces quatre jours, à chaque moment où la météo l’a permis, les rues de Manresa, ses allées, places comme ses salles de spectacles, ses monuments et jusqu’aux tentes installées pour l’occasion, étaient le théâtre d’un festival ininterrompu du spectacle contemporain de rue, d’animations autour de jeux folkloriques, de concerts, de danse, d’expositions, de propositions pluridisciplinaires, de projections etc.

Marché sur le Passeig Pere III

Marché sur le Passeig Pere III, le 5 novembre 2011 (Nadia Bendjilali)



Il fallait descendre le Passeig Pere III, allée centrale du centre ville de Manresa, ce samedi 5 novembre, et aller à la découverte des talents locaux (du pain cuit au four sous nos yeux aux labels indépendants de musique catalane) présentés dans la longue rangée de chalets et suivre les mouvements de foule descendant ou remontant la rue. S’arrêtant ici pour suivre une proposition circassienne, écouter là une fanfare venue d’ailleurs, offrant un tour de manège sur un carrousel écologique (2) à ses enfants. Vous l’avez compris, à la « fira », la rue méditerranéenne est à la fête.

Marché sur le Passeig Pere III

Réputée comme l’une des fanfares les plus rapides du monde, la Fanfare Lui Craciun, Roumanie (Nadia Bendjilali)



Parce que l’histoire de la Fira c’est d’abord celle d’un festival qui est enraciné dans un territoire et dans cette culture populaire méditerranéenne. Dolors Bartrolí vit à Manresa, elle témoigne de son intérêt pour cet événement qu’elle suit depuis ses débuts : « Au départ, nous sommes venus, mon mari et moi, parce que nous étions sensibles à cette offre culturelle dans notre ville. Nous sommes devenus des fidèles car notre intérêt pour les musiques traditionnelles et ethniques est satisfait au fil des éditions, que ce soit du reste la culture catalane et plus largement les cultures méditerranéennes »

Marché sur le Passeig Pere III

Tere Almar dans l'espace de rencontres professionnelles (Nadia Bendjilali)



Cette foire ambitionne depuis quelques années de s’imposer comme un marché du spectacle traditionnel renouvelé en Méditerranée en offrant aux artistes catalans des occasions de créations avant-gardistes, en développant un salon ouvert à de plus en plus de professionnels de la culture (3) et en multipliant les rencontres entre méditerranéens. Tere Almar, directrice artistique de la Fira depuis quatre ans, nous explique l’esprit de la fira :
« Pour nourrir l’authentique et la tradition en provoquant des créations renouvelant la tradition, depuis quatre ans, nous proposons d’inviter un artiste qui s’empare d’un thème central. Cette année c’est l’artiste catalan Perejaume qui a construit un ensemble de propositions cohérentes et complémentaires autour du thème « Le poids des images ». A partir de la tradition, Perejaume nous offre des créations au langage très contemporain. Que ce soit dans le spectacle d’inauguration qui met l’accent sur la musique et l’image dans « Ballar la Veu », composition en hommage au poète Jacint Verdaguer, pour deux pianos à queue, quatre pianistes et une cloche. Un spectacle sur la voix du poète mais sans sa voix, en somme une émotion évoquée ou au travers d’une exposition qui est l’aboutissement de son pèlerinage avec une vierge romane sur le dos pour faire l’expérience de la gravité entrepris en juin 2011 en Catalogne, Perejaume créé des occasions de réflexion. C’est le cas en ce moment même un prolongement lors d’un séminaire regroupant des artistes et des scientifiques.» Ainsi, à partir de gestes poétiques d’un artiste, les traditions, comme la place des œuvres d’art dans ou hors de musées, sont mises en question et les chemins de la connaissance ouverts. Une fois encore la fira est l’écrin de ces possibles.

Une pépinière au service du renouvellement des traditions populaires méditerranéennes

Renouveler la tradition est une passion pour Tere Almar qui raconte comment « des ensembles instrumentaux traditionnels catalans comme « las coblas », qui jouent essentiellement des morceaux destinés à l’interprétation de la sardane, proposent des créations novatrices. Les créations de la Cobla Catalana des Sons Essencials qui opère une fusion entre le classique, des éléments de la langue catalane et les sons de la musique populaire méditerranéenne ou encore la prestigieuse Cobla Sant Jordi qui combine chants et cobla en partageant la scène avec le chanteur et auteur catalan Roger Mas en sont des exemples éclatants».

Bien sûr, ces créations sont des laboratoires et demandent parfois du temps pour donner toute leur portée. Ce fut le cas de la première de La Principal de Júpiter donnée dans la superbe enceinte du Théâtre Conservatoire de Manresa : un projet séduisant de croisement de musiques, d’acteurs et de genres qui nécessite encore des étapes de travail. « La Fira est en fait une plateforme qui donne la première impulsion et nous savons que les projets initiés ici connaissent des aboutissements rapides. Nous prenons cet engagement avec les artistes de leur offrir une scène pour des travaux en cours en faisant des paris sur l’exploration», poursuit-elle.

«Nous souhaitons également favoriser les rencontres entre des artistes de la Méditerranée. Cette année, nous avons proposé aux danseurs du corps de danse catalane Esbart Marboleny de rencontrer dans une résidence chorégraphique la compagnie de danse qui part de la tradition basque pour créer des formes contemporaines, Kukai Dantza. L’idée est la suivante : donner les moyens d’un workshop et d’une première présentation publique. Et attendre…laisser les protagonistes décider de la poursuite ou non de l’aventure. »

En tout cas, le 5 novembre, après une journée d’atelier sous la direction du chorégraphe Jon Maya de Kukai Dantza, un auditoire nombreux était séduit par l’échantillon de la création présenté dans la cours du théâtre Kursaal, une partie des spectateurs a participé à la danse et la performance de rue « Karrikan » donnée par la compagnie franco-basque a tenu en haleine les festivaliers. Un programme pour six danseurs et un DJ créé en collaboration avec trois chorégraphes qui a démontré un spectacle au langage chorégraphique et musical très contemporain et varié.

Marché sur le Passeig Pere III

« Karrikan » de la Cie Kukai Dantza à Manresa (Nadia Bendjilali)



Les jours et les nuits à la fira Mediterrània de Manresa ont été une suite de rendez-vous avec des concerts très prisés par le public comme celui de la rencontre entre les fanfares roumaine du « Taraf de Haïdouks » et macédonienne « Kocani Orkestar», des découvertes nombreuses, des retrouvailles avec des « chouchous » de la fira comme ce fut le cas du magnifique concert donné par le quatuor féminin « Las Migas » avec la nouvelle voix du groupe, Alba Carmona…Prochaine édition du 8 au 12 novembre 2012, et d’ici là, dans les articles qui suivent, nous vous présentons les coups de cœur de la rédaction.

NADIA BENDJILALI

(1) Présence des médias, notamment étrangers, en hausse avec 175 accréditations de journalistes.
(2) Manège pour enfants avec des chevaux, des taureaux, des dragons et des rennes qui sont fabriqués à partir de pneus recyclés et qui est alimenté par une bicyclette : http://www.youtube.com/watch?v=o_lX_BMuYiM&feature=player_embedded
(3) 1251 professionnels présents, 201 entrées à des conférences professionnelles et 46 stands vendus dans l’espace de la foire professionnelle, chiffres en augmentation constante, et à replacer dans un contexte de crise.