le bilan est terrible: près d’un millier de morts en seulement quelques jours... (Xinhua)

Egypte: après la politique du pire, le temps des incertitudes

Un calme précaire est revenu sur Le Caire après six jours d’affrontements sanglants entre les Frères musulmans et les forces de l’ordre. La confrérie sort affaiblie de cet épisode. Ses dirigeants sont arrêtés. L’armée reprend les rênes dans un climat de haute tension et de grande incertitude.

Scènes cauchemardesques six jours durant au Caire, capitale meurtrie d’un pays déchiré de violence, plongée dans l’obscurité de la terreur… le sang ruisselle dans les rues, des blessés se trainent vers les lieux de secours, dans le brouillard des gaz, des cadavres peuplent les mosquées, des églises brûlent, ainsi que des bâtiments publics, les habitants se terrent, la mort fauche partout, sur les places transformées en champs de bataille, au pied des immeubles… images impressionnantes d’un incroyable chaos qui tournent en boucle sous les yeux du reste du monde….

Le bilan est terrible : près d’un millier de morts en seulement quelques jours, comme aux moments les plus sombres de la révolution de 2011, dont 37 prisonniers islamistes asphyxiés dans des conditions pour le moins troubles et plus d’une vingtaine de policiers victimes d’une attaque à la roquette dans le Sinaï, selon les derniers décomptes.

Beaucoup de zones d’ombre demeurent autour des conditions d’évacuation des sit-in tenus par les Frères, de la réalité des tractations avec le pouvoir, des médiations au fil du ballet diplomatique qui a précédé l’intervention, des sommations. Une chose au moins est sûre dans tous les cas : les violences étaient prévisibles. Les militants islamistes mobilisés se savaient infiltrés par des hommes en arme disposés à livrer une guérilla urbaine. Les forces de police étaient préparées à des affrontements sanglants et ne se sont pas embarrassées de précautions.

Deux années à peine après l’effondrement d’une dictature de 30 ans, la société égyptienne a ainsi flambé de haine, de folie meurtrière. Comment les forces en présence -l’armée, les Frères musulmans, le mouvement de la société civile qui a provoqué le tournant- vont-elles se comporter désormais dans un climat de haute tension, lourd de menaces sur la paix civile, quelles sont les hypothèses les plus plausibles ? Décryptage.

« Les Frères sont définitivement discrédités aux yeux de l’opinion, leur attitude est un suicide politique. En s’attaquant aux symboles de l’Etat, ils se sont coupés de leur électorat », juge le journaliste Hicham Mourad, rédacteur en chef d’Al Ahram Hebdo. En effet, puissante machine aux ressources insoupçonnables, la confrérie n’en sort pas moins sérieusement affaiblie de cet épisode. La mobilisation des militants s’est considérablement réduite ces derniers jours. « Nombre d’entre eux en deuil, sont tétanisés par la violence de la répression », explique un témoin joint par téléphone au Caire. Et d’autres ont été sûrement pris de cours par les actions des groupes armés, les opérations ciblées contre les commissariats et les églises.

L’état major de la confrérie se doit aussi de gérer les opinions divergentes qui ont commencé à se faire entendre durant les sit-in, entre les partisans d’une solution politique et les radicaux en faveur d’un affrontement sans concession. Sortie de sa trajectoire religieuse pour une aventure politique au grand jour, l’organisation est à bout de souffle. La désillusion est d’autant plus grande que les effets attendus ne se sont pas produits. Mis à part la démission à peine remarquée du vice-président El-Baradaï, le gouvernement ne s’est pas plus fissuré. Le soufflet est aussi vite retombé dans la communauté internationale. L’UE, tout autant que les Etats-Unis ont tout juste fait les gros yeux, se limitant à des déclarations qui ménagent la chèvre et le chou. Dès lors, l’armée s’empresse de donner le coup de grâce à la confrérie. Son chef suprême, Mohamed Badi, a été arrêté sous les caméras de la télévision publique et la dissolution est même envisagée, tandis que Mohamed Morsi est officiellement poursuivi pour « complicité de meurtre ».

L’armée justement, est plus que jamais déterminée à reprendre solidement les rênes du pouvoir. « Le risque n’est pas exclu d’une prolongation de l’état d’urgence, d’un report des élections présidentielles aux calendes grecques, du maintien d’une chape de plomb au motif que le pays est exposé à des risques de retour en force des islamistes » commente Nabil Belhadj, politologue algérien, convaincu que l’Egypte emprunte le même chemin que son pays, trop longtemps pris en étau entre la menace du terrorisme islamiste et le pouvoir des généraux, à la faveur d’élections truquées.

Mais encore faut-il qu’Abdelfatah Khalil al Sisi, nouvel homme fort du régime égyptien qui a tenu la dragée haute aux occidentaux, soit en mesure d’étouffer les voix du Mouvement Tamarrod (Rébellion, lire interview) qui ne manqueront pas de se faire entendre. Car en Egypte, ce géant tourmenté du monde arabe, la révolution s’est définitivement emparée de la rue. La société civile y est en embuscade permanente, contrainte à une grande vigilance dans un contexte à hauts risques, de grande incertitude.