Abderahmen Moumen est avignonnais au parcours universitaire essentiellement effectué dans sa ville natale..(DR)

Rivesaltes, à chacun son camp…

« A Rivesaltes, petite commune des Pyrénées-Orientales, la terre est brune, le muscat doux et le vent fort ». C’est par cette phrase que débute l’ouvrage intitulé « Rivesaltes le camp de la France de 1939 à nos jours » et publié chez Trabucaire (Edition Trabucaire, www.trabucaire.com) , au-dessus duquel s’est penché pour sa préface Philippe Joutard, ancien recteur à Besançon et Toulouse, professeur d’histoire à l’Université de Provence et à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, spécialiste des rapports entre histoire et mémoires dans nos sociétés.

Un ouvrage dont le contenu a été surtout le fruit d’une collaboration entre deux chercheurs en histoire. Nicolas Lebourg, spécialiste de la seconde guerre mondiale et de l’extrême droite, et Abderahmen Moumen chercheur associé au Centre de Recherche Historique sur les Sociétés Méditerranéennes, le CRHISM, laboratoire de recherche dont le « camp de base » est situé à Perpignan.

Abderahmen Moumen est avignonnais au parcours universitaire essentiellement effectué dans sa ville natale pour le finaliser à Aix-en-Provence par une thèse brillamment soutenue en 2006 dont déjà le cœur de recherche fut le rapatriement dans le sud-est de la France de ceux arrivés d’Indochine, Maroc, Tunisie, Algérie, Guinée…

Cela reste aussi le regard posé sur une société française qui voit arriver celles et ceux venus d’un ailleurs qui fit la grandeur de la France et qui s’est alors dans les années 60 disloqué… L’empire colonial. (Arrivée de 650 000 rapatriés d’Algérie dès 1962).

Recruté par le musée mémorial du camp de Rivesaltes et son laboratoire de recherche de l’Université de Perpignan (CRHISM) qui lui est rattaché, Abderahmen Moumen va alors débuter tout un travail de consultation, de dépouillement des archives départementales et militaires de 2006 à 2012 qui lui permettront le recueil des informations et données qui feront l’ossature scientifique de l’ouvrage.

Auteur de trois ouvrages et d’une quarantaine d’articles scientifiques, cet historien chargé de cours à l’Université Lyon II poursuivra sa quête afin de finaliser ce qui est le témoignage écrit, documenté sur cette partie de la terre de France dédiée à l’enfermement, au confinement, circonscrite pour l’entraînement militaire et ses manœuvres, enfin réservée à celles et ceux jusqu’en 2007 que les autorités destineront à l’expulsion.

Le camp de Rivesaltes devenant en dernier lieu centre de rétention, voici le chimiste du XIX° siècle Lavoisier convoqué pour que vienne à point nommé sa citation décrire ce que sera l’utilisation de cette terre brune où le muscat est doux et le vent fort : « Rien ne se perd, rien ne se créer, tout se transforme » !

Les 159 pages font défiler celles des populations que les soubresauts et les drames de l’histoire contemporaine ont jeté vers l’exil et souvent vers la relégation : la guerre d’Espagne et ses Républicains, le gouvernement de Vichy et ses opposants, ses Juifs de l’étranger et français, sa population tzigane, la libération et les indésirables issus de la collaboration, la guerre d’Algérie et ses prisonniers nationalistes puis ses familles dites « harkis »… Jusqu’en 2007, date de sa fermeture, avec la rétention des immigrés clandestins. A chacun son camp…

Ce livre retrace celles des périodes sombres, sales, celles dont le récit se murmurent aux creux des oreilles ou se figent dans un silence froid de ces anciens qui tiennent en silence le pire pour mieux en contenir souffrances et ignominies. Certaines cicatrices n’arrivant jamais à effacer leurs douloureuses boursouflures !

Il dit enfin dans sa deuxième partie toute la récupération politique des mémoires à partir des années 80 et la gestion communautaire qui en est son corolaire opportuniste.

Si cet ouvrage a peu pour lui s’il vous est conduit à faire vos choix de lecture estivale afin que sur le sable chaud la légèreté et le rêve sur tout l’emportent, il reste tout de même salutaire quant à ce qu’il rétablit :

«  Le ‘’camp de Rivesaltes’’ représente sept décennies de mise à l’écart des populations indésirables….   Il est temps de rendre à ce lieu confus des mémoires françaises la réalité de son histoire… »