le général Ahmed Gaïd Salah, a évoqué une «dégradation inédite» de la situation sécuritaire dans la région... (DR)

La poudrière libyenne, nouvelle Mecque des djihadistes ?

Le chaos libyen profite aux djihadistes d’AQMI, qui s’arment lourdement et font la jonction avec les troupes de Daech aux frontières avec l’Algérie et la Tunisie (lire page 69). L’opportunité pour l’«EI» de desserrer l’étau sur ses implantations en Irak et en Syrie ?

Le sinistre Mokhtar Belmokhtar, alias «le Borgne» ou «Mister Marlboro», défraie à nouveau la chronique du djihad dans le sud désertique de l’Algérie, sur les zones frontalières avec la Libye et la Tunisie. Le brigand djihadiste algérien qui a fait ses classes en Afghanistan au début des années 1990 avant de rejoindre le GIA, de créer le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), de s’imposer comme représentant de la nébuleuse al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), écumant le désert saharien, entre enlèvements, trafic d’armes, de drogue, de cigarettes, a été donné pour mort deux ou trois fois. Sa réputation est légendaire et ses réapparitions spectaculaires.

Démonstration de force

«Nos frères moudjahidine ont réussi une attaque contre un site gazier et la base-vie du groupe BP, qui pille nos richesses. Elle a été menée au moyen de roquettes terre-terre de 130mm», a-t-il revendiqué au lendemain d’une opération menée le 18 mars en territoire algérien. Qualifiée de «pétard mouillé» par un média local, l’attaque n’a pas fait de victimes, ni de dégâts. Une démonstration de force à l’évidence, trois années après celle contre le complexe gazier d’In Amenas, également dans le Sud, au dénouement particulièrement sanglant (une quarantaine d’employés tués). Du coup, l’armée algérienne est en alerte, des dizaines de milliers de soldats patrouillent le long de la frontière saharienne avec la Libye et la Tunisie. Venu inspecter ses troupes le 13 mars, le patron de l’armée algérienne, le général Ahmed Gaïd Salah, a évoqué une «dégradation inédite» de la situation sécuritaire dans la région. Deux jours auparavant, l’armée abattait en effet un émir d’AQMI et mettait la main sur une impressionnante cargaison d’armes comprenant des missiles antiaériens Stinger. Depuis lors, la traque s’est intensifiée, une dizaine de terroristes lourdement armés ont été éliminés.

Le brigand djihadiste relance-t-il une «guerre des sables» mettant à profit des tentatives de débordement des troupes de Daech présentes en Libye sur les pays voisins, notamment la Tunisie ? «L’armée algérienne a les capacités de contrôler cette frontière quasi désertique. On ne peut pas dire que les groupes qui partent de Libye soient en mesure de déstabiliser sérieusement l’Algérie. Elles peuvent sans doute mener des actions spectaculaires, sans plus. Il ne faut pas non plus exclure une volonté d’instrumentaliser l’affaire libyenne à des fins de politique intérieure», note Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français à Tripoli (2001-2004), auteur de «Au cœur de la Libye de Kadhafi» (Jean-Claude Lattès, Paris, 2011).

Le chaos et les fractures

En Libye, «Daech s’est surtout implantée dans l’interstice entre les rivalités locales, sur les fractures de la guerre de 2011, notamment à Syrte, auprès de populations laminées parce qu’elles étaient favorables à Kadhafi et qui n’ont pas les moyens de la repousser. Les Américains parlent de 6 000 djihadistes, un chiffre incertain en réalité», rappelle Patrick Haimzadeh, convaincu qu’un règlement politique de la situation du pays déclenchera une chasse aux djihadistes.

En attendant, le chaos s’éternise dans une «société fracturée, en proie à des pressions extérieures contre-productives, qui ne prennent pas en compte tous les acteurs politico-militaires pour la constitution d’un gouvernement d’union», explique-t-il. Une chose est sûre, au final : la Libye, déchirée, fait pour l’instant l’affaire de l’«EI». Car ce pays pourrait bien offrir aussi à l’«EI» l’opportunité de desserrer son étau sur ses implantations en Syrie et en Irak, en engageant une «guerre des sables», fût-elle suicidaire.