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VIH en Méditerranée : une riposte fragilisée mais une solidarité tenace

En cette Journée mondiale de lutte contre le VIH/Sida, les pays du Maghreb et du pourtour méditerranéen font face à une riposte fragilisée : financements en recul, accès inégal aux soins, stigmatisation persistante. Mais des réseaux d’associations, de soignants et de militants maintiennent, envers et contre tout, une présence indispensable. Entre crise structurelle et sursauts de solidarité, un état des lieux préoccupant mais pas résigné.

Dans de nombreuses capitales méditerranéennes — d’Alger à Tunis, de Casablanca à Beyrouth — les campagnes de prévention du VIH sont devenues rares, presque discrètes. «On fait ce qu’on peut avec presque rien», souffle N., volontaire dans une association communautaire du centre d’Alger. Son ONG assurait autrefois un dépistage mobile hebdomadaire ; il n’a plus lieu que deux fois par mois. Les financements internationaux se sont amenuisés au fil des années, et les enveloppes nationales ne suivent pas. Résultat : le dépistage stagne, le suivi des personnes vivant avec le VIH se fragilise, les traitements ne sont plus garantis avec la régularité nécessaire.

Cette année, le thème international — « Surmonter les perturbations, transformer la riposte au sida » — sonne comme un rappel brutal. Partout au Maghreb, les associations tirent la sonnette d’alarme. Au Maroc, des acteurs de terrain évoquent une « double crise » : baisse des financements extérieurs et repli des politiques publiques vers d’autres priorités. En Tunisie, l’instabilité politique pèse sur la continuité des programmes de prévention. Au Liban, l’effondrement économique a rendu l’accès aux traitements aléatoire, parfois hors de prix. La Méditerranée, déjà secouée par les inégalités économiques et les migrations forcées, voit dans la lutte contre le VIH un autre champ où les fragilités s’accumulent.

Pourtant, les besoins restent immenses. Les populations les plus exposées — travailleuses du sexe, usagers de drogues, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, personnes migrantes — continuent de subir la stigmatisation, qui freine le dépistage autant que la prise en charge. « Une personne qui pousse la porte de notre centre a souvent déjà surmonté une montagne », rappelle une médecin communautaire à Marseille, engagée dans l’accompagnement des exilés vivant avec le VIH. Les routes migratoires méditerranéennes, marquées par la violence, l’exploitation et les non-droits, aggravent encore les risques de rupture de soins.

Un combat partagé des deux côtés de la Méditerranée

En Europe du Sud, la situation n’est pas homogène. L’Espagne, longtemps modèle pour ses politiques de réduction des risques, voit les budgets régionaux se tendre. En Italie, les associations dénoncent le recul du soutien public et la montée d’un discours conservateur stigmatisant. En France, si l’accès au traitement demeure garanti, les inégalités territoriales et sociales persistent, en particulier pour les personnes migrantes. « Nous recevons de plus en plus de patients arrivant d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient dont le suivi a été interrompu », témoigne une infirmière de l’AP-HP. « Chaque rupture dans un parcours de soins est une faille que le virus exploite. »

Les coopérations sanitaires entre les deux rives peinent, elles aussi, à se maintenir. Les programmes conjoints euro-méditerranéens sont affaiblis, et les crises politiques — guerre à Gaza, tensions en Libye, instabilité au Sahel — détournent l’attention internationale. Pourtant, de nombreuses associations méditerranéennes continuent de travailler ensemble, souvent hors projecteurs. Échanges de médicaments, formations médicales, relais pour les personnes en transit : une solidarité discrète, mais vivace.

Dans ce paysage tendu, quelques lueurs persistent. Au Maroc, un réseau de médecins bénévoles a relancé des campagnes itinérantes dans les zones rurales. En Tunisie, des collectifs de jeunes militants ont repris les actions de sensibilisation là où l’État se retire. À Marseille, Barcelone ou Naples, les centres communautaires restent des refuges pour ceux que la bureaucratie exclut. La résilience est bien là, portée par des femmes et des hommes qui refusent l’abandon.

Mais la riposte ne pourra être « transformée » sans engagement politique. La lutte contre le VIH/Sida n’est pas seulement une affaire de santé : elle touche aux droits, aux libertés, aux inégalités de traitement, à la place accordée aux minorités dans nos sociétés. Elle interroge notre capacité collective à reconnaître la dignité de chacun, indépendamment de son orientation, de sa situation sociale ou de son pays d’origine.

En ce 1er décembre 2025, un constat s’impose : la Méditerranée, si souvent traversée par les fractures, est aussi une région où les luttes se répondent d’une rive à l’autre. Et si la riposte vacille, elle ne disparaît pas. Pour les militants, les soignants, les personnes vivant avec le VIH, l’heure est plus que jamais à la solidarité — concrète, engagée, transnationale. Une solidarité qui, malgré les crises, continue d’imaginer un autre horizon pour cette mer divisée mais indissociable.

Photo: (DR)

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