Algérie législatives. Retour à la case départ. Les islamo-conservateurs dominent le Parlement

Favorisés par une forte abstention et par l’absence de formations progressistes, les partis pivot sous le règne du président Bouteflika reviennent en force au Parlement.

La surprise est amère, que nul ne voyait vraiment venir dans la classe politique algérienne plus de deux ans après la chute d’Abdelaziz Bouteflika : le Front de libération national (FLN) socle partisan du régime précédent arrive en tête des législatives anticipées du 12 juin avec 105 sièges. C’est 50% de moins qu’en 2017, lors du dernier scrutin, mais la performance reste étonnante. Les « indépendants », un ensemble hétéroclite de jeunes pour l’essentiel, constitué en partie d’universitaires, de chefs d’entreprise, mais aussi de diplômés sans emplois. Encouragés par le pouvoir, voire même financés pour leur campagne s’agissant des moins de 40 ans, ils obtiennent 78 sièges.

Les islamistes rassemblés sous la bannière du Mouvement de la société pour la paix (MSP) arrivent en 3ème position avec 64 sièges. Le Rassemblement national démocratique (RND), membre de l’ex-coalition présidentielle décroche 57 sièges. Le Front El Moustakbal de Abdelaziz Belaïd remporté 48 sièges. Le Mouvement El Bina de l’islamiste Abdelkader Bengrina aura, quant à lui, 40 élus. Jil Jadid de Soufiane Djilali se retrouve avec un seul siège, malgré sa belle campagne. La formation était entrée dans la course en se promettant de porter les revendications du Hirak. Elle n’a pas convaincu dans la grande masse des abstentionnistes.

Un chef du gouvernement FLN

«Le 12 juin, le citoyen sera souverain (...) L'ère des quotas (fraude et autres arrangements, NDLR) est révolue et les urnes trancheront et conforteront le choix du peuple», déclarait Le président Tebboune devant la presse à la sortie du bureau de vote, se réjouissant d’avance de voir émerger « une nouvelle classe politique ». Il va désormais se résoudre à l’appui sur les mêmes formations que son prédécesseur. L’exécutif sera très probablement dirigé par un chef du gouvernement FLN.

« Le Parlement issu de ces élections va consacrer de nouveau le courant conservateur. Le boycott (par les partis démocratiques, NDLR) va priver cette institution de l’expression, même minoritaire, comme elle l’a toujours été, du courant démocratique », commente Noureddine Fethani, intellectuel Algérois. La non-implication des dites-formations dans la course électorale aurait donc été contreproductive. Un point de vue plus ou moins partagé dans le milieu des militants de gauche. « Il était prévisible que les fiefs traditionnels du FLN allaient voter en masse pour le seul parti qu’ils connaissent. Les formations démocrates ne s’y sont jamais vraiment implantés, privilégiant l’Algérie visible et facile », ajoute le commentateur.

Le rejet du scrutin par le Hirak a fortement pesé

C’est surtout l’abstention massive qui a ouvert une voie royale aux partis de « l’ancien régime ». La grande majorité des électeurs algériens a tourné le dos aux urnes. L’Autorité nationale indépendante des élections a annoncé, dans un premier temps, un taux de participation de 30,03%. Elle a fini par dévoilé qu’il état à peine de 23,03%. Il avoisine 0 % dans les deux grandes villes de la Kabylie, Tizi Ouzou et Bejaïa. Il atteint à peine 8,54 % à Alger. La plus forte participation est enregistrée dans le sud-est, à Illizi, avec 44,13 %. Les Algériens résidant à l’étranger, quant à eux, ont quasiment ignoré l’événement. Le taux est « très bas, moins de 5 % », a indiqué l’Anie, sans plus de précisions.

La forte abstention était attendue. Le rejet de l’élection par le Hirak a fortement pesé. Cette offensive populaire déclenchée en février 2019 pour s’opposer au 5ème mandat de Bouteflika subit de plus en plus une forte répression. Les autorités affirment qu’il est à présent infiltré par les islamistes de la mouvance RACHAD héritière du Front islamique du salut (FIS) dissout au début des années 90 et par le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), tout deux classées depuis peu « organisations terroristes ».

Sans être liés à celles-ci, près de 200 détenus d’opinion végètent en prison. Police et justice frappent fort. Des hirakistes continuent à être interpellés un peu partout sur le territoire. Ils ont en commun d’avoir fréquemment participé aux manifestations et, surtout, de s’être exprimés sur les réseaux sociaux. La grande majorité est sous le coup de chefs d’inculpation ahurissants – « atteinte à l’intérêt, ou à l’unité national », « incitation à des attroupements non armés ». Le hirak n’a plus droit de cité au cœur d’Alger depuis 4 vendredis consécutifs. Une chose est sûre, ce climat répressif a dissuadé de nombreux électeurs. Déterminé à poursuivre sa feuille de route, en appelant notamment au scrutin local, le pouvoir n’en reste pas moins confronté à une alternative : la tentation totalitaire ou la voie de l’apaisement. Les Algériens s’interrogent.