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Point de vue: Tunisie, un coup d'Etat bourgeois chasse un dictateur

Une semaine après la fuite de l'ex-président Ben Ali, est venu le temps de l'analyse.

Les médias occidentaux et notamment français se sont vite emballés sur les événements tunisiens. Surpris par l'ampleur du mouvement et en panne d'imagination ils les ont comparés à la Révolution des œillets d'avril 1974 au Portugal. Comparaison n'est pas raison. La situation du Portugal et celle de la Tunisie ne sont pas comparables tant le monde a changé depuis plus de trente ans. Constatons en plus que les œillets de la Révolution se sont bien fanés.

Tunis est aujourd'hui dans le doute de la transition. Elle cuve sa gueule de bois démocratique. Mais sommes-nous en face d'une révolution ? Les historiens nous le dirons dans quelques années. Le temps de l'Histoire n'est pas celui de l'actualité brûlante.

En 1987, lorsque Ben Ali renverse Habib Bourguiba, il soulève une vague d'espoir chez les tunisiens et notamment dans la jeunesse. Et le pays fait un bon prodigieux. Le nouveau pouvoir fait de l'éducation sa priorité. En 2005, il consacre 21% de son budget à l'enseignement. Le taux d'alphabétisation est de plus de 76 % Et deux jeunes de 12 à 17 ans sur trois sont scolarisés. Les infrastructures hôtelières sont modernisées et le personnel formé.  Ce secteur économique représente plus de 6% du produit intérieur brut (PIB) et fournit 340.000 emplois. Le gouvernement a organisé la solidarité à travers l'Union Tunisienne de Solidarité Sociale (UTSS) en faisant de la zaket (un des cinq piliers de l'islam) une institution d'Etat, la Banque du médicament et la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS).

L'autre secteur de pointe est l'agriculture. Son taux de croissance permet au pays d'atteindre un niveau de sécurité alimentaire suffisant. Elle assure plus de 12% du PIB et emploie 16% de la main d'œuvre (en 2006). Une véritable politique d'irrigation de ce pays de près de 11 millions d'habitants est mise en place. Bref, des efforts sont fournis grâce à des partenariats publics/privés. Ajoutons que des élections sont régulièrement organisées avec des taux de participation oscillant entre 84 et 91%; de quoi faire blêmir de jalousie les politiques français.

La vitrine est alléchante et a pu tromper beaucoup de monde. Alors que s'est-il passé ?

Le clan Ben Ali/Trabelsi a privatisé l'Etat à profit. Il a géré le pays comme une entreprise dont ils seraient les propriétaires.

Ben Ali, Trabelsi et compagnie s'enrichissaient en monopolisant tous les secteurs d'activités économiques et redistribuaient quelques richesses au peuple, des miettes au regard de leurs propres profits. Ils ont poussé la logique du capitalisme libéralisé à son paroxysme. Pour la famille l'argent c'était le pouvoir et le pouvoir permettait de faire encore plus d'argent.

Après 24 ans de règne sans partage, le système s'est retourné contre Ben Ali. Pourquoi ?

Leïla Trabelsi l'épouse de Ben Ali et ses dix frères ont fait main basse sur la Tunisie.  A tel point qu'il était impossible d'investir dans le pays sans traiter moyennant finance  avec un des membre du clan. Leïla la coiffeuse a tondu le peuple.

La famille a tellement pris de place dans les affaires économiques, elle exigeait tellement de dessous de table et autres bakchichs que les capitalistes tunisiens ne pouvaient plus faire d'affaires.

Au fil du temps, le système Ben Ali s'est avéré autobloquant. Il s'est essoufflé jusqu'à parvenir à son propre asphyxie. Alors, on peut imaginer le marchandage. Il s'en va et les 1.500 kilos d'or qu'il a emporté est le prix à payer pour son départ. Sa fuite précipité est un leurre, tout avait été préparé à l'avance. En effet, on ne transporte par 1,5 tonnes d'or comme deux lingots dans un attaché case. Certains observateurs affirment d'ailleurs que son dernier discours aurait été enregistré quelques jours avant sa "fuite".

Ensuite, il faut également s'interroger lorsqu'on dit le peuple tunisien. De qui s'agit-il ? De tout le peuple ou d'une frange éclairée. Une amie tunisienne m'a dit que ce sont les étudiants qui ont mené le soulèvement. En tout cas, ce peuple n'a été que l'infanterie qu'on a envoyé au front afin de créer les conditions du départ du dictateur. Mais c'est la bourgeoisie tunisienne qui est aux manettes. Une fois retournée au pouvoir elle pourra recommencer à exploiter le peuple. En ce sens et à défaut d'être une révolution, les événements tunisiens pourrait se révéler n'être qu'un coup d'Etat bourgeois.

Maurice BRANDI