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France: « Grenelle » de la Presse, quelles conséquences pour le pluralisme ?

Emmanuelle Mignon, conseillère auprès de Nicolas Sarkozy, a indiqué, vendredi 19 septembre, en marge du forum Libération à Grenoble, vouloir décliner les Etats généraux de la presse d'octobre sur le modèle du "Grenelle de l'environnement".

Annoncés en mai par le chef de l'Etat, ces Etats généraux, destinés à trouver des solutions aux difficultés de la presse écrite, devraient prendre la forme de consultations qui dureront deux mois, a précisé Emmanuelle Mignon, à l'issue d'un débat.

La conseillère du président doit remettre prochainement ses recommandations sur ce dossier. En attendant, elle s'est déclarée favorable à un système de consultations entre l'ensemble des "parties prenantes" sur "différents pôles de réflexion", qui sont en train d'être définis

"Dans mon idéal à moi, dans chaque pôle il y aura des parties prenantes qui rendront une copie" en s'étant mis "d'accord sur cinq propositions", a-t-elle dit aux journalistes réunis à Grenoble.

"Je préfère ce système" du type "Grenelle de l'environnement plutôt qu'un système dans lequel on fait des auditions pour aboutir à un rapport, sûrement de bonne qualité, mais qui n'engage pas ceux qui ont participé à ce dispositif".
Selon elle, "un des enjeux de ces états généraux" est "de ne pas sortir uniquement avec les augmentations des aides de l'Etat" à la presse.

D'autre part, "il n'est pas question de remettre en cause le pluralisme". Engageant sa "responsabilité", elle a promis que les Etats généraux ne seront pas "une fiction de débat". "Il y a la volonté de mettre tout le monde autour de la table et faire discuter les parties prenantes, y compris les lecteurs", a-t-elle souligné.

Préalable à ces déclarations, la remise d’un rapport de Danièle Giazzi, secrétaire nationale de l'UMP, sur "les médias et le numérique", listant 34 recommandations dont l'assouplissement des règles de concentration: "maintenir et renforcer la qualité des industries du contenu" et "assurer la rentabilité et la compétitivité de nos entreprises de médias et faire naître des champions internationaux".

Les conclusions de ce rapport, qui sera analysé par le ministère de la Culture, "permettront notamment d'éclairer les débats qui se tiendront dans le cadre des états généraux de la presse", a affirmé Danièle Giazzi dans un communiqué.

"Groupes multimédias"

Pour faire naître des "champions internationaux", le rapport propose d'assouplir la législation sur la concentration dans les médias, notamment audiovisuels, et, d'autoriser par un exemple un groupe de médias à posséder une chaîne de télévision, une radio, un quotidien de dimension nationale.

Fin mai, le président de la République avait jugé qu'il y avait "un problème de diversification, un problème de seuil" dans les médias français et il s'était demandé s'il ne fallait pas "créer des groupes multimédias".

Afin d’affirmer le pluralisme de la presse, le rapport préconise de "constitutionnaliser la défense du pluralisme et de l'indépendance de la presse" , ainsi que la création d'un observatoire du pluralisme de la presse auprès du Premier ministre et d'étendre les compétences du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à la question du respect du pluralisme.

C’est donc le Premier Ministre qui encadrera de fait le pluralisme. Même si des organes de presse mènent de virulentes campagnes contre sa politique ou contre la raison d’Etat ?

Verra-t-on, contrairement à l’esprit de la Loi Bichet de 1947, l’apparition d’un système à deux vitesses ne mettant plus titres à faibles ressources publicitaires et titres forts sur le même pied d’égalité devant le lecteur ?

Peut-on enfin constitutionnaliser le pluralisme de presse alors même que l’on institutionnalise la loi du plus fort en forçant de fait les plus faibles titres à s’accrocher aux plus forts pour survivre économiquement ?

Fonds d’investissement pour la presse

La secrétaire nationale de l'UMP propose également de développer le mécénat en faveur de la presse. Mais curieusement elle propose de recentrer les aides à la presse écrite sur la presse d'information générale et politique et en même temps de les ouvrir aux nouveaux supports disponibles (journaux gratuits, sites d'informations en ligne...). Ce qui disperse encore plus l’aide à la presse en même temps que diminue l’aide aux titres les plus faibles.

La Direction du développement des médias, à Matignon, recense dix-huit catégories différentes d’aides - directes et indirectes à la presse!

Il est question de créer un fonds d'investissement pour la presse.

Concernant le sujet difficile des coûts d'impression de la presse, le rapport souhaite une "réforme drastique des imprimeries" en "rassemblant les parties en présence (syndicats, imprimeurs éditeurs) afin d'élaborer des solutions satisfaisantes pour tous".

Elle propose de restreindre le champ d'action de la loi Bichet, qui règlemente la distribution de la presse, aux seuls journaux d'information générale et politique, et de soutenir la création de points de vente, notamment à travers le plan de modernisation des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP).

Il est proposé et de développer le portage à domicile.

Ouverture du capital de l'AFP

Au sujet de l'Agence France-Presse (AFP), le rapport affirme qu'il serait souhaitable de la transformer en société anonyme, ce qui lui permettrait de se doter d'un capital et de fonds propres et d'ouvrir le capital "si nécessaire". Il propose de la gratifier d'un "actionnaire clairement identifié et stable", sans préciser lequel.

Danièle Giazzi est favorable à l'octroi de 20 millions d'euros étalé sur cinq ans à l'AFP afin de financer son projet numérique, comme le souhaite la direction à l'Etat. "En contrepartie de ces facilitations", elle recommande l'ouverture du conseil d'administration de l'Agence à "des acteurs de l'internet".

Selon le statut de 1957, l'AFP est un organisme autonome sans capital. Son conseil d'administration est constitué de représentants syndicaux de dirigeants d'entreprises de presse, de l'audiovisuel public et des services publics.

L'AFP a été critiquée en mai dernier par l'UMP parce qu'elle n'avait pas fait état d'un communiqué du parti majoritaire ne donnant aucune grande information .

Le rapport préconise une action des pouvoirs publics pour favoriser la création de groupes de presse plus concentrés. Le Chef de l’Etat n’a jamais caché son intention de faire émerger un secteur des médias constitué de grands groupes français mondiaux. Nul doute que les patrons de médias, amis du Président, Dassault, Bouygues, Bolloré, Lagardère, Hersant, seront mis à contribution.

Des syndicats de journalistes ont réagi avec inquiétude à l'initiative de l'Elysée, estimant que le président de la République vise à étendre la mainmise de grands patrons de presse dont il est proche.

La presse écrite française, confrontée à la concurrence de l'internet et des journaux gratuits et à la baisse des recettes publicitaires, traverse une période de difficultés financières. Aucun titre de la presse quotidienne nationale, du Monde au Figaro en passant par Libération, France-Soir, L’Humanité, Le Parisien, n’a échappé ces dernières années à de grandes restructurations, outre des adaptations économiques à de nouvelles donnes technologiques.

L’avenir de la presse quotidienne nationale demeure plus que précaire et incertain.

Les capitaux de la presse quotidienne ont en outre changé de mains, recomposant le paysage. Et la presse quotidienne régionale, quand elle ne s’est pas fortement concentrée, a vu des banques rentrer dans son capital.
 
Sarkozy inspiré par Berlusconi ?

Cet été en Italie, un décret fiscal a été voté qui diminue sérieusement les marges de manœuvre financières de quotidiens qui ne sont pas adossés à de grands groupes capitalistiques, en réduisant voire supprimant les subventions aux quotidiens à faible pagination publicitaire.

Le gouvernement Berlusconi a usé d’un artifice ingénieux, prenant acte de la quasi-disparition dans le champ démocratique représentatif de la gauche socialiste et communiste, faisant ainsi de la subvention de ces journaux d’opposition une subvention sans objet. Car n’étant plus représentatifs de la démocratie italienne telle qu’exprimée aux dernières élections.

Ce qui fut un vrai couperet pour des journaux tels que le Manifesto, l’Unità, il Secolo d’Italia, Liberazione, il Corriere Mercantile, l’Avvenire, et pour des dizaines de journaux mineurs dont tous les directeurs, à juste titre, réfléchissent sur les possibles conséquences que pourrait causer la réduction des financements.

Si le décret devait être approuvé sans modifications, la prolifique presse quotidienne italienne pourrait se retrouver monopolisée par quelques journaux : Corriere delle sera, Repubblica, Stampa, Sole 24ore et quelques rares autres.

Il serait possible que les Etats Généraux aboutissent à ces mêmes perspectives pour la presse française : le tout ou rien.

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