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Algérie, 5 octobre 88: l’autre « fleuve détourné »

Ils avaient déferlé dans les rues d’Alger, de Annaba, d’Oran,  de Constantine, et de Tizi Ouzou. Un torrent d’une violence inouïe qui mit le pays sens dessus dessous en quelques heures, sema le chaos et la peur, déclencha une répression aveugle, meurtrière.

 Les jeunes émeutiers algériens d’octobre 88 avaient la rage au cœur, les idées rongées d’amertume, de colère, de haine, vidées de la moindre parcelle d’espoir à quinze, vingt ou trente ans... Face à eux, un pouvoir arrogant, injuste, dégoulinant d’incompétence et de corruption. Un parti unique béquille d’un régime peuplé de rentiers et de magouilleurs professionnels, d’une ploutocratie planquée à l’ombre de la redoutable «sécurité militaire».

Pris de court, affolé, ce pouvoir-la se déchaîna sur les militants des partis d’opposition démocratique, déploya une véritable machine de guerre pour aller les cueillir dans la clandestinité, fit embastiller des centaines d’entre eux et se livra à la torture. Mais la secousse populaire était trop forte, à laquelle il ne pouvait résister. Il lui fallut se résigner à démolir la citadelle du parti unique, à accepter de briser les remparts à l’expression plurielle. Presse indépendante, multipartisme, vie associative… une Algérie nouvelle vit alors le jour, parées des couleurs de la démocratie enfantée dans la douleur et le sang. Tous les espoirs étaient permis.

Mais c’était sans compter avec l’émergence de l’islamisme, porte du « salut » grande ouverte à une jeunesse déboussolée, abreuvée de prêches incendiaires à la source des sirènes intégristes, devenue réservoir de terroristes au service des émirs de sinistre réputation.

L’Histoire retiendra que les dirigeants de l’époque auront longuement louvoyé face à la montée de l’intégrisme, accordant un statut politique à l’islamisme dans l’objectif de neutraliser l’opposition démocratique. L’Histoire retiendra aussi qu’ils réagirent seulement lorsque le feux était à leurs portes, menaçant leurs positions et privilèges, en donnant en coup d’arrêt au processus électoral portant le « parti de Dieu » au sommet de l’Etat.

Les Algériens conservent de cette période une mémoire tracée de sang, marquée, tout au long d’une décennie, par les assassinats de journalistes, d’intellectuels, d’artistes, de médecins, d’hommes politiques, de villageois isolés et sans défense. Et la guerre n’est toujours pas finie contre un terrorisme qui a saigné le pays d’un bout à l’autre du territoire.

Plus de vingt ans après, que reste-t-il d’octobre 88 ? Le tableau est tristement frustrant. L’islamisme a plus qu’un pied au pouvoir. L’ex parti unique s’est fabriqué un clone pour fortifier ses rangs et élargir sa clientèle. L’opposition démocratique s’est réduite comme peau de chagrin. Devenue atone, elle n’inquiète même plus le pouvoir. Quant à la jeunesse elle rêve aujourd’hui de prendre le large, de « couper » la mer en tentant le diable, de braver jusqu’à la mort pour retrouver l’espoir d’une vie meilleure.

Octobre 88, c’est tout compte fait un autre « fleuve détourné », trente années après le recouvrement de l’indépendance.

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