Elections présidentielles et législatives enTunisie : la démocratie confisquée

Marseille, à l’heure de l’apéro, dans un petit bar du centre-ville très fréquenté par des immigrés d’origine tunisienne. C’est jour de vote en Tunisie, alors, forcément, on taille une bavette sur le sujet. Un amateur de pastis demande le silence et propose une anecdote.

C’est l’histoire d’un électeur illettré dans un bureau de vote. Il s’empare sans hésiter d’un bulletin de couleur bleue et le glisse aussitôt dans l’urne. De retour chez lui, il annonce fièrement à son épouse qu’il a voté Ben Ali. Quelle couleur le bulletin ? Bleue !  Diable ce n’était pas le bon. Confus, notre homme se précipite vers le bureau et se confie au chef pour réparer sa faute. Aucune inquiétude, lui répond ce dernier, nous avons pris soin de rectifier !  Eclats de rire et cascade de commentaires. Les langues se délient ainsi, loin de la chape de plomb de Ben Ali, dans l'ivresse de la liberté d'expression.

Sans surprise, avec 90% des voix moins des poussières, l’inamovible président tunisien rempile allègrement pour un cinquième mandat. Ses partisans mettent en avant la lutte sans concession contre « les barbus » et la « réussite économique » de ce petit pays sans ressources énergétiques.

Ses opposants rappellent que la situation politique n’en est pas moins fragile faute de véritable démocratie. Les inégalités sociales se creusent et le chômage, des jeunes surtout, fait tache d’huile. L’expression politique est éteinte au profit de la seule voix du pouvoir,  et la répression syndicale bat son plein comme ce fut le cas ces derniers mois dans le bassin minier de Gafsa.

Encensé par les pays occidentaux et notamment la France, Ben Ali prendra sans doute soin d'amender la Constitution tunisienne pour rester au pouvoir au-delà de 76 ans et à vie, à l’image des autres chefs d’Etat arabes.

Reste qu'un jour il y aura inévitablement un après Ben Ali, un saut dans l’incertitude et de tous les dangers qui couvent derrière un multipartisme de façade, une démocratie confisquée.