La crise analysée par Liem Hoang-Ngoc et Paul Boccara
Les économistes Liem Hoang-Ngoc et Paul Boccara étaient auditionnés en marge d’un Conseil national du PCF spécialement dédié à l’analyse de la crise. Leurs analyses sont reprises dans l’Humanité de vendredi 17 octobre.
Paul Boccara, économiste communiste
« Aller au-delà de l’alternative marché ou État »
« Le défi qui s’offre à la gauche aujourd’hui est de faire des propositions à la fois fondées sur des analyses profondes et suffisamment précises pour qu’elles soient opérationnelles, audacieuses et populaires, afin de contribuer à mobilisation la plus vaste pour l’action.
Bien sûr qu’il y a une crise du libéralisme et de la finance dérégulée, mais il y a surtout la maturation nouvelle de la crise systémique. Si le système est devenu fou, ce n’est pas parce qu’il y aurait des zones où le capitalisme deviendrait sain et normal, comme le laisse entendre Nicolas Sarkozy, mais parce que sa logique de rentabilité financière est poussée à son paroxysme.
Il est vain de parler de moralisation, et de transparence, sans avancée sur de nouvelles règles. Il est impossible de revenir sur un capitalisme de grand-papa ou de Keynes, car les transformations très profondes qui ont exacerbé le capitalisme sont irréversibles.
C’est la révolution informationnelle avec la montée des multinationales, c’est la révolution monétaire avec le décrochage de la monnaie par rapport à l’or, et l’hégémonie du dollar, etc.
La montée de l’intervention des États et de la régulation des marchés manifeste un nouveau climat favorable à des transformations profondes pour contrôler les marchés et commencer à s’émanciper des règles du capitalisme devenu fou. C’est un virage historique ! Mais une intervention plus grande des États et davantage de régulation ne suffiront pas si on ne s’en prend pas aux règles du système.
La gauche doit aller au-delà de cette alternative traditionnelle : marché ou État. Côté État, il faut une véritable démocratie participative pour de véritables pouvoirs d’intervention et de contrôle des travailleurs et des citoyens depuis les entreprises et les services publics. Côté marchés, il faut les maîtriser pour des avancées radicales de partage, de services publics novateurs.
Face à la montée du chômage, partout dans le monde, il s’agit du relèvement des salaires, d’une autre organisation du travail, et, coopérativement, d’une sécurisation de l’emploi et de la formation. Je ne pense pas que le plan Sarkozy aille dans le bon sens ni qu’il fallait faire plus et plus tôt. La crise nécessite des mesures immédiatement structurelles. »
Parmi lesquelles : un crédit sélectif, de nouveaux critères de gestion dans les entreprises, de nouvelles institutions bancaires et monétaires au niveau local et mondial (fonds régionaux, pôle public, monnaie commune mondiale), voir l’Humanité du lundi 13 octobre.
Auteur de "Transformations et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative ?" Le Temps des Cerises. 2008.
Liêm Hoang Ngoc, économiste, délégué national du PS à l'économie
« La main visible du politique doit faire autre chose »
Contestant la politique de rigueur monétaire instaurée par la BCE, l’économiste pointe que, malgré la baisse des taux consentie et une masse monétaire qui croît de 15% par an, l’inflation demeure autour de 3 %.
« Et pour cause, l’inflation n’est pas d’origine monétaire, comme le pensent les libéraux », explique-t-il. Le vent de spéculation qui souffle sur la planète financière serait plus à même d’expliquer aujourd’hui une éventuelle hausse de l’inflation. De plus, « les marchés financiers ne sont pas efficients, ils sont devenus un formidable instrument de gaspillage », estime-t-il.
Pour le dirigeant socialiste, la crise trouve ses origines, non dans la finance, mais au coeur de « l’économie réelle ». Il met en cause une politique de modération salariale imposée aux travailleurs depuis des années.
« Nous assistons aujourd’hui à l’épuisement d’un modèle de croissance économique à l’anglo-saxonne. » « Un modèle qui, souligne-t-il, a comprimé la part des salaires dans la valeur ajoutée. »
« Le moteur de la croissance pendant les Trente Glorieuses correspondait à une consommation de masse tirée par des salaires indexés sur les gains de productivité. »
Ce temps-là est révolu. « Les études sur la répartition des revenus montrent aujourd’hui que le revenu médian stagne et que seuls les plus hauts revenus augmentent », précise l’économiste.
Revenant sur les premières secousses enregistrées sur les marchés américains, il explique que « la faiblesse des revenus salariaux » induisait obligatoirement « une croissance tirée par le crédit ».
Particulièrement par le crédit hypothécaire dont la valeur se verra « démultipliée par la machinerie financière et par la titrisation ».
Résultat : « On a ensuite fait proliférer les créances dans les banques du monde entier. » Une mondialisation à grande vitesse de titres « pourris».
Quoi qu’il en soit, au-delà des questions de justice sociale, Liêm Hoang Ngoc juge qu’« il est devenu contre-productif de continuer de faire pression sur les salaires ».
« Le capitalisme actionnarial prend l’eau et il appartient maintenant à la “main visible” du politique de faire autre chose », plaide le dirigeant socialiste.
Il propose avant tout une conférence salariale pour « réindexer les salaires sur les gains de productivité et l’inflation ». Profiter ensuite de la recapitalisation du système financier français « pour discuter du périmètre d’un pôle public financier stable et solide ».
Poser enfin le problème de la fiscalité « pour un véritable impôt universel sur le revenu qui soit progressif et assis sur une assiette large, et une modification de la fiscalité des sociétés, avec des taux différents pour les entreprises qui investissent et celles qui distribuent leurs bénéfices aux actionnaires ».
Auteur de Sarkonomics, essai chez Grasset. 2008