La cour, son connétable et le caudataire
Leur représentant au pouvoir avait été président de l’Assemblée et chef de gouvernement : un barbefélène patient et passionné, ce Belkhadem ; en costume et cravate quand il s’agit d’atténuer la fronde au sein du parti du FLN, et avec qamis et fez comme signes de l’ordre religieux en train de s’installer.
Il fallait l’entendre faire la leçon, cette semaine à Blida, à des militants plutôt soucieux des dividendes matériels de leur action que des impératifs idéologiques de langue et de religion. Fini Novembre et son projet de République démocratique et sociale.
En la matière, Tourabi lui-même n’aurait pas fait mieux. Serait-ce une concrétisation du rêve momentanément troublé par l’arrêt du processus électorale et le retour, trois jours plus tard, en Algérie de feu le président Boudiaf ? C’était Janvier 92.
Une trotte depuis que l’Algérie de la lutte contre le terrorisme a cédé le pas devant celle de la concorde et la réconciliation avec les islamistes. Désormais, l’Etat théocratique n’est plus qu’une question de temps. En attendant, le numéro 1 du parti du front ne souffre pas de l’humiliation de quitter le fauteuil de chef de l’exécutif pour le strapontin de ministre sans portefeuille.
Second couteau ou décideur, l’essentiel est d’être là où on voit se dessiner les plans de vol et se décider les destinations. Il acquiesce par un hochement de tête quand le tracé est conforme à la tradition, et fait des gorges chaudes quand la direction de l’appareil indique la modernité et l’ouverture sur le monde.
Les patriotes se souviennent de son compagnon de route en déroute à Sant’ Egidio, et d’animation du comité d’opposition « constantinoise » à la venue d’Enrico Macias en Algérie. Djaballah est-il un partisan en secret du parti de Belkhadem ou seulement l’ennemi déclaré de l’Etat moderne et de la démocratie?
On ne peut à la fois pleurer la mort de Boudiaf et applaudir le retour aux affaires de Belkhadem. L’Algérie du père de Novembre 54 et du FLN n’est pas celle du chef de file des barbefélène. La preuve ? Cette réponse à un journaliste arabe s’interrogeant sur les Ulémas et leur rapport à la guerre d’Algérie : « ces gens sont étrangers à la glorieuse Révolution ».
Vérité ou propos de trop ? Prononcée par le premier président du HCE (haut Comité d’Etat) en direct après le JT de 20h, cette phrase devait en tout cas sonner le glas des projets de ceux qui s’étaient détournés de l’effort de guerre pour s’approprier les fruits de l’indépendance.
A leur tête les Ulémas et de nombreux centralistes. On imagine leur haine de ce qui rappelle Novembre et le congrès de la Soummam, qui était secrète alors, et qui éclata depuis. Hier la bombe de l’aéroport et le massacre de Bentalha, aujourd’hui le kamikaze des Issers ou de Bouira.
Le 11 janvier n’a pas plus épargné l’Algérie des conséquences de la décennie noire, que le 18 brumaire n’a sauvé le second empire des errements de l’après monarchie de juillet. Il est cependant vrai que le traitement du terrorisme n’est pas seulement sécuritaire.
A condition d’éviter l’exemple de Gribouille qui, voulant se protéger de la pluie, s’est réfugié dans la rivière. Un abîme au fond duquel l’inquisition reprendra tous ses excès, cour infernale où un Abassi sévirait avec un Benhadj comme connétable et un barbéfélène le caudataire.
Reste à savoir de quelles missions seront investis Djaballah et ses semblables du parti du front. Connétables ou caudataires ils exécuteront les ordres de…Savonarole. Morts alors à la science, à l’ouverture sur le monde et au savoir. Mort à la république démocratique et sociale et aux démocrates. Mort enfin aux valeurs de Novembre et au message du congrès de la Soummam. La descente aux enfers