La traite des sans-papiers
Il semble que l’Europe est en train de basculer dans la déraison dans sa lutte contre l’immigration clandestine. En se dotant, comme elle vient de le faire à l’unanimité d’une directive qui aggrave considérablement les sanctions contre les clandestins, elle passe là, à mon avis, une barrière psychologique dangereuse, au-delà de laquelle tout sera permis, on n’est plus dans le règne du droit mais dans celui de la persécution.
A ce stade, et les exemples dans l’histoire ne manquent pas, le droit n’est plus qu’un prétexte pour couvrir les abus, autoriser les humiliations gratuites, la chasse à l’homme, les ratonnades, les raffles.
L’opération de reconduite aux frontières menées en France par le ministère de M. Hortefeux en est déjà là, dans la surenchère et le harcèlement. Il prévoyait l’expulsion de 25000 clandestins par an et c’est tout fièrement que ses services ont annoncer que cet objectif a été pulvérisé au cours des 12 mois écoulés. On parle d’un accroissement de 35% et on s’en réjouit comme d’une prouesse.
En Italie, depuis l’élection de Berlusconi, la chasse aux sans-papiers est ouverte et menée tambour battant. Les reconduites à la frontière sont massives et le plus souvent pratiquées avec l’intention d’humilier et de terroriser.
Il en va de même en Hollande et en Angleterre et ce n’est guère mieux ailleurs. Même la tranquille suisse, qui n’est pas membre de l’Union, pratique cette chasse à l’homme. Etre clandestin dans ces pays est devenu un calvaire de chaque instant.
La directive adoptée par l’UE va décidemment trop loin, non seulement elle permet une rétention de dix-huit mois mais elle ajoute que l’expulsé sera interdit de retour en Europe pour une période de cinq années.
Autant dire, qu’il ne sera plus jamais autorisé à revenir en Europe, même en tant qu’immigré légal ou en touriste, ou en tant que malade ayant besoin de soins spécialisés, ou s’il échet en tant que réfugié politique.
On peut légitimement s’offusquer de cette mesure et de ce qu’elle sousentend de racisme et de violence et un peu partout dans le monde on le fait.
Le président Chavez a été jusqu’à dire que son pays, le Venezuela, ne livrera plus de pétrole aux Européens qui appliqueront cette directive.
Mais pour condamnable que soit l’attitude des Européens, il me semble que le mal est ailleurs et bien plus grave.
On peut en effet comprendre que les Européens ferment leurs frontières, compte tenu de leurs difficultés économiques, sociales et politiques. Et même comprendre qu’ils en viennent à des mesures d’exception, dans le contexte actuel marqué par l’insécurité et le terrorisme.
Ce qui de mon point de vue est beaucoup plus condamnable ce sont les régimes des pays pourvoyeurs d’émigrés. L’origine du mal est là. C’est la gestion calamiteuse de ces gouvernements, pour la plupart illégitimes, qui fait fuir leurs citoyens vers d’autres cieux.
Ils ne partent pour le plaisir, ils fuient une situation de malvie qui a largement dépassé le seuil du tolérable. Les méfaits de ces régimes sont considérables et devraient normalement être assimilés à des crimes contre l’humanité et relever du tribunal pénal international.
On a vu comment un homme, le président Mugabe a transformé un pays magnifique et richissime en un mouroir à ciel ouvert et comment au bout de son échec il s’accroche au pouvoir quitte à précipiter le pays dans une terrible guerre civile.
On a vu comment des dizaines de milliers de zimbabwéens ont fui en Afrique du sud et quel accueil leur a été réservé.
On pense à la Birmanie où un régime militaire d’un autre âge inflige le martyre à son peuple, et ici au Maghreb au régime de M. Bouteflika qui a fait de l’immense et richissime Algérie un pays de pauvres livrés à eux-mêmes, au chômage, à la mendicité, à la maladie, à la violence, et qui ne voient de salut que dans l’émigration ou hélas dans le suicide qui a fait un bond spectaculaire ces dernières années.
A ce propos, le quotidien El Watan rapporte que dans la seule wilaya de Bejaia, il a été enregistré depuis 2006 305 suicides et 100 tentatives de suicide. On retrouve les mêmes statistiques dans quasiment toutes les régions du pays et encore tout n’est pas dit.
De la même manière, le phénomène des émeutes, rarissime dans l’histoire du pays, est devenu un sport national, il ne se passe pas de jour sans qu’une émeute n’éclate ici ou là, laissant derrière elle des dégâts matériels et humains considérables.
Comme Mugabe et tant d’autres dirigeants calamiteux, il compte s’accrocher au pouvoir quel qu’en soit le prix.
Critiquer les pays européens pour leur gestion honteuse des sans papiers est légitime mais cela ne doit pas faire oublier que l’origine du mal est ailleurs.
Les Etats européens qui reçoivent nos émigrés, et les régimes pourris du tiersmonde qui les alimentent en émigrés clandestins, sont finalement dans la logique qui prévalait au temps de la traite négrière.
En vérité, ils font commerce de chair humaine, les uns la reçoivent, la sélectionnent, l’exploitent dans la marginalité ou la rejettent à la mer en se drapant du manteau de la légalité, et les autres les alimentent en se cachant derrière les séquelles du colonialisme ou en arguant des contraintes du sous-développement.
Il est peut-être temps de nommer les choses par leurs noms : nous sommes devant une forme nou-velle et honteuse de la traite négrière de jadis et on dirait que les acteurs n’ont pas changé, ce sont les mêmes pays occidentaux et les mêmes potentats locaux et entre les deux, les mêmes pauvres victimes.