Yasmina Adi réalisatrice du documentaire : L'AUTRE 8 MAI 1945 - Aux Origines de la Guerre d'Algérie
L’association Espace Franco-Algérien organisait samedi 9 mai à Marseille une rencontre-débat sur le thème des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata du 8 mai 1945, en présence de l’historien Jean-Louis Planche et de Mohamed Bensalah, enseignant-chercheur. Le film de Yasmina Adi a été projeté en ouverture et a été suivi d’un débat dans une salle comble et visiblement bouleversée par les témoignages recueillis.
_. Mediaterranee.com : dans quelles conditions avez-vous réalisé ce travail de consultation d’archives et de recueil de témoignages ?
_.Yasmina Adi : je n’ai pas rencontré de difficultés particulières à quelque niveau que ce soit. La réalisation de ce travail a duré deux années en tout. Elle a nécessité de nombreux déplacements, en France, aux Etats-Unis, en Angleterre et bien entendu en Algérie, pour la consultation d’archives. Il m’a fallu aussi sillonner les villages du Constantinois, vaste département, pour aller à la rencontre des témoins.
_. Comment appréciez-vous les réactions à votre documentaire sur ce thème particulièrement sensible de la mémoire coloniale ?
_.Les réactions ainsi que les questions soulevées dans les débats sont variables, sans surprise en fonction de la composante du public. Il n’est pas étonnant par exemple que dans une ville comme Marseille l’on insiste beaucoup sur les chiffres, sur le nombre des victimes. Mais c’est globalement les mécanismes du massacre, la façon dont les choses se sont déroulées qui retient l’attention, suscite le plus de d’interrogations. J’ai noté une grande soif de reconstituer et de comprendre le déroulement des faits. Et c’est là un aspect qui me conforte dans ma démarche car j’ai voulu avant tout faire preuve de pédagogie, apporter un éclairage au-delà des clichés et des sentiers battus. Le documentaire a été diffusé en avant première à Alger. La parole de témoins français, le recours aux archives des services de renseignements britanniques et américains, l’apport d’un reporter anglais…l’usage de tous ces matériaux a été plutôt apprécié. Cela a permis au public d’avoir un regard différent de ce que lui livrent les discours des historiens nationaux mis bout à bout. L’expérience de la projection en ouverture du Festival des Droits Humains à Rabat n’a pas manqué d’intérêt non plus. Nombre de personnes étaient par exemple surprises d’apprendre le rôle que l’armée française a fait joué aux tabors marocains dans la répression. Un fait qui est semble-t-il fort peu connu.
_.Quel aspect vous semble particulièrement important dans l’enchaînement de ces faits et que vous souhaitez avoir mis en valeur à travers la réalisation de ce documentaire ?
_.J’ai d’abord voulu me faire l’écho du sentiment, de la mémoire de gens du peuple, de paysans, témoins ou victimes de cette répression, ainsi que de colons, gens ordinaires qui ont assisté, impuissants, au déroulement des ces massacres. C’est à mes yeux la parole vraie, la seule qui vaille vraiment à la source de la mémoire. L’inscription de ces évènements dans le contexte internationale est par ailleurs un aspect déterminant. Les alliés de la France, puissance coloniale, savaient tout de ce qui se passait dans le Constantinois. Ils n’ignoraient rien de ces atrocités, au sortir pourtant de la lutte contre le nazisme. Seulement, au moment de la constitution de l’ONU et de l’émergence d’un nouvel équilibre mondial, les massacres de Sétif passaient au second plan. Il y avait alors un consensus pour garder le silence et laisser faire.
Propos recueillis par Nadjib Touaibia