(© Erik Tegnér/Twitter)

Gilets jaunes : incroyables scènes d’insurrections aux Champs-Elysées, décryptage

24 novembre 2018. Après une semaine de mobilisation des "gilets jaunes", mouvement dit du "17 novembre" que beaucoup pensait être un pétard mouillé, la réalité éclate et éclabousse, définitivement. Analyse.

Il s’est passé quelque chose d’étonnant aujourd’hui, mais qui n’a rien d’étrange dans la poursuite du mouvement inédit dit du "17 novembre", un mouvement poursuivi de façon très décentralisée, à Paris comme en régions, depuis sept jours, jour pour jour, de blocages en blocages filtrants, de péages gratuits en autoroutes bloquées.

Retour vers le futur

Il fallait en effet remonter en mai 1968, pour voir quelque chose qui ressemblait à peu près à ça : des pavés décrochés des Champs-Elysées puis lancés sur les forces de l’ordre dès la deuxième partie de la matinée, puis huit heures durant, sans trop de bruit de glaces sur les prestigieuses vitrines de "la plus belle avenue du monde" avant le grand début de soirée qui amène le compteur à treize heures de conflit au sein de Paris, capitale de la nation française.

Plus tôt dans la journée, les Champs-Elysées se sont vus transformés en rue de barricades enflammées. Gavroche n’était pas loin… On peut en effet aussi remonter à la révolution de 1789, en passant par les années 30 précédant la main mise des totalitarismes faschistes et nazis; pour imaginer telles scènes d’insurrections sur les Champs-Elysées ou encore plus près, à l’intérieur de la Bastille. Ce moment où des citoyens, d’où qu’ils viennent, se retrouvent avec un uniforme commun, unis dans leurs différences mais le poing levé, avec du bleu, du blanc et du rouge. Le hashtag #JeSuisUnGiletJaune est-il lancé ?

#JeSuisUnGiletJaune

C’est en tout cas le cri qu’ont lancé la grande majorité des manifestants avec leurs brassards fluos, brassards rendus obligatoires dans chaque véhicule depuis quelques années, comme le passage à 80km/h et l’augmentation tarifaire du contrôle technique, entre autres "taxes" routinièrement en réalité augmentée. La "foule" est bien sûr hétéroclite : jeunes qui manifestent pour la première fois, retraités qui n’en peuvent plus de la hausse de la CSG et de s’inquiéter pour l’avenir de leurs enfants, travailleurs qui n’en peuvent plus de dépenser trop à la pompe d’essence ou ailleurs, des familles, des enfants, des ultras droites, des ultras gauches, bref un grand bouillonnement qui transforme la France en vigilance jaune comme un canari virant au rouge, sans qu’aucun syndicat ne soit présent. Corps intermédiaires, vous avez dit ? Il y avait des anarchistes aussi. Et des représentants politiques. Des membres de toute l’opposition qui ont tenté d’expliquer leur version des faits en mode forcément "opposition", des membres de la majorité qui pour certains ont revêtus le gilet jaune et qui pour d’autres, Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur en tête, ont politisé la scène de cette manifestation de jaunisse en responsabilisant Marine Le Pen pour un pauvre gazouilli twitté en mode interrogatif quant à la possibilité d’organiser une manifestation sur les Champs-Elysées. Les Champs-Elysées, là où la France a fêté cet été sa deuxième étoile de champions du monde. De quoi redonner à la représentante de l’extrême droite toutes les cartes en mains, sur les réseaux sociaux d’où sont partis les gilets jaunes comme dans les grands tuyaux médiatiques. Là où se simple petit fait vrai s’expose bien évidemment aux yeux de toutes et tous : plus de 106 000 citoyens français, nombreuses catégories socio-professionnelles confondues, en ont marre et l’ont à nouveau exprimé ce 24 novembre. En faisant des kilomètres en bus ou en voiture, en lançant des « CRS avec nous ! », en s’infiltrant sur les Champs-Elysées qui étaient zonés zones interdites, bref,…. Ils ne sont pas prêts de s’arrêter les gilets jaunes, au moins jusqu’à mardi, date à laquelle le président Emmanuel Macron a promis d’annoncer des perspectives de sortie de crise face à ce mouvement qui, parti il y a quelques semaines d’une simple grogne sur le prix du carburant, s’en prend désormais à toutes les taxations et demande même, à tue-tête, sa démission.

De la jacquerie aux violences urbaines

Ce sont d’incroyables scènes d’insurrections qui risquent fort de se reproduire, si le Président n’effectue pas des annonces fortes de rééquilibrage, quand le mot ISF, ISF octroyé en cette première partie de mandat, résonne dans toutes les têtes comptant leurs centimes dans leurs poches au 15 du mois, si ce n’est pas avant... Ceux sont ceux-là qui ont majoritairement manifesté aux côtés des casseurs-agitateurs, sans trop sans éloigner, ce qui est aussi très étonnant, entre les flammes de tel grue incendiée, l’explosion de tel camion et les gaz lacrymogènes, sans parler coup de flashball, de tonfas, de jets d’eau et de bombes assourdissantes. Et ce pharmacien que nous avons croisé à la fermeture de sa pharmacopée, de résumer ainsi, même s’il n’était pas vêtu d’un gilet jaune : "j’espère qu’ils vont comprendre là-haut, parce que sinon, ça va dégénérer".

Gilet jaune de cœur le pharmacien ? Sans aucun doute aucun, vu son diagnostic de la situation. Pour l’instant, les gilets jaunes, visibles ou invisibles en restent là, ce soir, en attendant demain, même si demain c’est loin, pendant que les derniers casseurs-agitateurs poursuivent éperdument, cette nuit, leur face-à-face avec les forces de l’ordre qui ont parfaitement géré la situation, tels les pompiers, avec l’excellente méthodologie française qu'on leur connait bien en matière de bonne gestion de la sécurité en temps extraordinaires de crises, des crises que les journalistes couvrent aussi, aussi à leur dépends, parfois :

La République, c’est la chose qui rassemble, comme à la Réunion, mais les face-à-face vont continuer ici et là-bas jusqu’à quand, dans les stratégies d’usure ? Où est la sortie de secours ?  

Le 24 novembre en chiffres à l’heure où s’on écrites ces lignes (source Ministère de l’Intérieur) :

Plus de 106 000 manifestants

1619 actions sur la voie publique dans l’hexagone

8000 personnes sur les Champs-Elysées

69 interpellations et 19 blessés, dont de nombreux policiers