l’Algérie faisait face à une vague de terrorisme inédite extrêmement meurtrière; et ce, dans l’indifférence internationale la plus générale... (DR)

Pieds de nez et pesanteurs de l’Histoire…

Les pieds de nez de l’Histoire sont toujours très instructifs. Il y a déjà plus de vingt ans, exactement de la fin des années quatre-vingt à celle des années quatre-vingt-dix -, soit durant plus d’une décennie, l’Algérie faisait face à une vague de terrorisme inédite extrêmement meurtrière; et ce, dans l’indifférence internationale la plus générale. Des Algériens tuaient d’autres Algériens… Cela n’intéressait presque personne comme si l’événement correspondait à la « nature » profonde du pays, comme si l’Algérie payait une dette « légitime », comme si ce n’était pas volé, sinon presque normal… Malheureusement, on ne sait que trop d’où viennent et où nous mènent ces conceptions essentialistes, mais comme nous l’enseigne Platon dans sa République, l’Histoire est une « déperdition » contre laquelle les hommes de bonne volonté doivent lutter sans cesse : laboureurs de la mer…

Au milieu des années 1990, il s’est même trouvé une bande de salopards – il n’y a pas d’autres termes -, pour attribuer l’ensemble des massacres aux cadres du pays, alors que la plupart d’entre eux devaient déplorer dans leur famille ou chez leurs proches, des morts, des disparus ou des mutilés. Ce fût l’odieuse campagne du « Qui-tue-qui ? », une campagne de désinformation destinée au démantèlement de l’Algérie dont l’indépendance et la souveraineté faisaient obstacle à de puissants intérêts. Piétinant tous souvenirs, mémoires et enseignements, la même machinerie est aujourd’hui en acte au Proche-Orient où les mêmes intérêts cherchent à démanteler d’autres Etat-nations arabes – l’ « Etat-nation » – monade politique incompressible -, le plus grand obstacle, sinon le seul à pouvoir endiguer les furies destructrices de la mondialisation économico-financière actuelle qui s’abreuve du sang et du malheur des autres…

« Pied de nez », disions-nous, voire même « retournement » historique, politique et géopolitique, puisqu’aujourd’hui… une majorité d’Etat-membres des Nations unies – à commencer par les Etats-Unis eux-mêmes, l’Allemagne, la France et même la Suisse -, salue, loue et s’incline devant une Algérie en première ligne de la lutte contre le terrorisme mondial contemporain. Mieux vaut tard que jamais, et cette reconnaissance quelque peu décalée appelle plusieurs remarques parce qu’elle fait événement. Bien-sûr, celui-ci n’intéresse toujours pas la grande presse internationale, organiquement allergique à l’autocritique et mue par une immédiateté très contradictoire avec sa fonction initiale de « médiation », d’explication et d’analyse ; motivée, elle-aussi par l’influence, sinon le trafic d’influences et l’argent, valeur cardinale de la mondialisation susmentionnée. Les médias modernes : « pouvoir sans responsabilité », déplore le grand philosophe allemand Jürgen Habermas, pouvoir sans contre-pouvoirs, ni sanctions électorales dont les agendas fluctuent au gré de modèles économiques dématérialisés, déterritorialisés et anonymes…

Premier constat : malgré ce retour en grâce planétaire, mais qui demeure « conjoncturelle », l’Algérie reste victime de préjugés qui contribuent toujours à une image défavorable ou suspecte. La raison principale est relativement simple, mais façonne toujours les perceptions dominantes : ancien partenaire de l’Union soviétique, l’Algérie n’a toujours pas plié le genou devant les injonctions du « Grand-Moyen-Orient » de madame Condoleezza Rice (ancien secrétaire d’Etat de George W. Bush) dont les lignes de force inspirent toujours l’administration Obama malgré un indéniable changement de style et de priorités. Même si les grandes officines de communication globale du « politiquement correct » se félicitent, tous les jours que Dieu fait, de la sortie de la Guerre froide, les perdants (ou catalogués comme tels) doivent continuer à payer, à expier leurs anciennes alliances…

De fait, l’Algérie n’a pas plié non plus le genou devant l’alliance américano-israélienne, dernièrement confortée par l’allégeance des pays du Golfe, à commencer par l’Arabie saoudite. Non content de toujours reconnaître le droit à l’auto-détermination des peuples palestinien et sahraoui, Alger a refusé d’intégrer les coalitions militaires chargées de détruire la Syrie et le Yémen, s’obstinant à privilégier la recherche de solutions diplomatiques dans la Corne de l’Afrique, au Mali ou dans une Libye « implosée » par la France, la Grande-Bretagne et l’OTAN… Insupportable ! Fidèle à son passé de libération nationale, l’Algérie s’obstine à refuser toute intervention militaire autres que celles nécessaires à la défense de sa survie « nationale ». Survivance incorrigible de la conférence de Bandung, du non-alignement et de la recherche d’une « troisième voie », ses choix diplomatiques empêche la communauté internationale de tuer en rond… Tout aussi insupportable !

En définitive, l’Algérie continue à pâtir de ses déterminations stato-nationales quotidiennement accusées et piétinées par l’idéologie dominante du « sans-frontiérisme », si cher aux bons docteurs Bernard Kouchner, George Soros ou Bernard-Henri Lévy dont on connaît trop les bailleurs de fonds. Répétons : l’Etat-nation et ses appareils régaliens de souveraineté sont, aujourd’hui et plus que jamais, les pires ennemis des docteurs Folamour de la City, de Wall-Street, de Tel-Aviv et de Riyad.

Enfin, ajouté à ces déterminismes géopolitiques, géoéconomiques, idéologiques et médiatiques, l’Algérie ne cherche pas – ou si peu – à valoriser ses initiatives de paix. Elle communique mal ! Malgré tous les pieds de nez salvateurs de l’Histoire, ses pesanteurs les plus lourdes continuent à mener le bal dans un monde « googlisé » où les armes de communication massive font la loi. Dans – Le Sophiste -, l’un de ses autres fameux dialogues, le vieux Platon nous explique aussi avec tellement de clarté comment et pourquoi les « perceptions » sont souvent plus meurtrières que le réel lui-même : en supplantant les choses, les mots choisis afin d’exprimer nos « perceptions » finissent souvent par guider et justifier les actions les plus déplorables.

Pour ne pas conclure, permettez-nous encore de citer un grand esprit, excommunié de la synagogue d’Amsterdam le 27 juillet 1656 : « les idées fausses et inadéquates s’enchaînent aussi nécessairement que les idées justes et adéquates ». Ensemble, nous y reviendrons la semaine prochaine. Bonne lecture et bel été…

 

La rédaction « Editorient » publié le 27 juillet 2015

Source : http://prochetmoyen-orient.ch/editorient-du-27-juillet-2015/