Europe, sécurité et opinion publique : une inquiétude qui s’installe
Un sondage publié le 4 décembre 2025 par Le Grand Continent, réalisé par l’institut Cluster17 dans neuf pays européens, révèle une perception croissante du risque géopolitique : une majorité de citoyens jugent plausible un conflit avec la Russie, tandis qu’une part importante considère Donald Trump comme un « ennemi de l’Europe ». Ces résultats montrent un continent traversé par le doute, où la confiance dans les institutions et la capacité de l’Union européenne à assurer sa défense est loin d’être acquise.
Au fil des crises, l’inquiétude européenne n’est plus une humeur passagère : elle devient un état durable. Le sondage, conduit pour Le Grand Continent par Cluster17 et rendu public ce 4 décembre, confirme ce que de nombreux dirigeants pressentaient déjà. Pour une large fraction des citoyens interrogés, la perspective d’un affrontement militaire avec la Russie n’est plus une hypothèse théorique. L’agression contre l’Ukraine, les menaces verbales croissantes du Kremlin et la fragilisation des équilibres de sécurité ravivent des peurs que l’on croyait disparues depuis la fin de la guerre froide.
Dans les pays situés à l’est de l’Union, ces inquiétudes sont encore plus vives. En Pologne, dans les États baltes ou en Finlande, la majorité des personnes sondées estime que leur pays pourrait être directement visé dans les années à venir. À l’ouest, le sentiment est moins aigu, mais il progresse : en France, en Allemagne ou en Espagne, la perception d’un risque de conflit s’est installée dans l’opinion, nourrie par l’instabilité internationale et la multiplication des cyberattaques attribuées à la Russie.
Cette montée de la peur s’accompagne d’un autre mouvement : la méfiance envers Washington. Pour près de la moitié des Européens interrogés, Donald Trump représente aujourd’hui un « ennemi de l’Europe ». Le terme est fort, mais il reflète l’impact de ses déclarations répétées mettant en doute l’utilité de l’OTAN, son hostilité envers les institutions multilatérales et sa vision transactionnelle des alliances. La possibilité qu’un désengagement américain affaiblisse la défense du continent nourrit une forme d’angoisse stratégique.
Un continent en quête de protection et de repères
Derrière ces réponses se dessine un déficit de confiance dans les institutions européennes. Beaucoup reconnaissent à l’Union européenne un rôle stabilisateur, mais doutent de sa capacité à agir vite, fort et de manière unie en cas de crise majeure. La fragmentation politique, les divergences sur l’effort de défense ou l’accueil des réfugiés, les débats interminables sur le budget militaire européen alimentent une impression de vulnérabilité.
Pourtant, l’idée d’une défense commune progresse nettement dans l’opinion. Les citoyens interrogés identifient la solidarité entre États membres comme un élément crucial pour faire face aux menaces extérieures. Ils attendent davantage de cohérence et surtout de visibilité : une stratégie lisible, des engagements concrets, un effort accru sur l’autonomie stratégique — un concept longtemps jugé abstrait mais devenu tangible à mesure que l’environnement international se détériore.
Le sondage révèle aussi une fracture générationnelle. Les plus jeunes, n’ayant pas connu les tensions Est-Ouest, perçoivent la guerre comme un risque désormais crédible, mais ils expriment surtout un profond scepticisme à l’égard des dirigeants politiques. Les générations plus âgées, quant à elles, manifestent un attachement plus fort à la relation transatlantique, tout en constatant avec inquiétude son affaiblissement.
À travers l’Europe, un fait se confirme : les citoyens sont conscients de vivre une période de transition géopolitique. L’ère où la paix semblait garantie par les alliances et la puissance économique européenne touche à sa fin. L'avenir apparaît incertain, et cette incertitude pèse sur les opinions publiques. Les résultats du sondage ne montrent pas seulement de la peur ; ils expriment une demande de protection, de clarté et de leadership.
Dans les mois à venir, ces perceptions pourraient influencer les choix politiques, les investissements militaires, les coopérations industrielles et les orientations diplomatiques. Elles rappellent surtout que la sécurité n’est pas qu’une affaire de stratégies ou de budgets : elle se construit aussi avec la confiance des citoyens, sans laquelle aucune politique de défense ne peut tenir. Europe, États-Unis, Russie — les lignes bougent, mais l’opinion européenne, elle, a déjà tranché : le monde qui vient sera moins sûr, et les réponses devront être à la hauteur de cette inquiétude.