France. Discriminations religieuses : le rapport qui bouscule le récit dominant
Dans une enquête menée auprès de plus de 5 000 personnes, la Défenseure des droits révèle une hausse nette des discriminations liées à la religion, touchant principalement les musulmans. Un constat qui tranche avec la focalisation médiatique sur l’antisémitisme, souvent présentée comme la seule menace majeure.
Les discriminations religieuses progressent en France, et c’est désormais chiffré. Dans son rapport publié jeudi 4 décembre, Claire Hédon dresse un tableau préoccupant : 7 % des sondés déclarent avoir subi une discrimination fondée sur la religion au cours des cinq dernières années, contre 5 % en 2016. Une hausse significative, mais surtout très inégalement répartie.
Le détail des chiffres est sans appel. 34 % des personnes musulmanes ou perçues comme telles déclarent avoir été discriminées, contre 27 % en 2016. À titre de comparaison, seules 4 % des personnes chrétiennes font état d’un tel traitement (2 % en 2016). Les femmes musulmanes sont particulièrement exposées : 38 % d’entre elles disent avoir été discriminées, contre 31 % des hommes de même religion.
« Trop souvent, ces discriminations sont invisibilisées, voire banalisées », écrit la Défenseure, pointant « l’effet corrosif » de discours publics qui stigmatisent régulièrement une communauté précise.
Un constat en décalage avec le débat médiatique et politique
Alors que le débat public met en avant, parfois à l’exclusion de tout autre sujet, la montée de l’antisémitisme — une réalité grave et documentée — le rapport révèle une dynamique parallèle, plus massive, mais largement absente des écrans et des éditoriaux : les discriminations anti-musulmans sont aujourd’hui les plus déclarées de toutes les discriminations religieuses en France.
Le contraste est saisissant. Dans l’espace médiatique, les responsables politiques qui osent aborder ces discriminations sont fréquemment accusés d’« islamo-gauchisme », un terme devenu instrument de disqualification plutôt que d’analyse. Résultat : les données sur les violences et discriminations visant les musulmans peinent à s’imposer dans le débat public, malgré leur ampleur statistique.
Le rapport souligne également un autre phénomène : la visibilité religieuse. Parmi les personnes portant un signe religieux, 15 % déclarent avoir été discriminées, qu’il s’agisse d’un voile, d’une kippa, d’une croix ou d’un turban. Mais c’est bien le voile qui concentre les tensions : il constitue, selon les enquêtes successives, le critère le plus discriminant dans l’accès à l’emploi, au logement ou à certains services.
Les conséquences, elles, sont profondes. Claire Hédon évoque des « effets dévastateurs » : isolement, anxiété, fragilité économique, perte de confiance dans les institutions. Et un paradoxe inquiétant : les politiques présentées comme luttant contre le « séparatisme » peuvent en réalité renforcer ce qu’elles prétendent combattre, en accentuant l’exclusion.
La Défenseure pointe également une confusion persistante autour de la laïcité : 24 % des sondés pensent qu’elle implique l’interdiction des signes religieux dans l’espace public, alors que la loi n’impose rien de tel. Cette mauvaise compréhension nourrit tensions et abus d’autorité, notamment dans les établissements scolaires ou dans certaines administrations.
Pour y remédier, Claire Hédon appelle à des « mesures ambitieuses » de sensibilisation dès l’école primaire. Un enseignement clarifié de la laïcité permettrait, selon elle, une meilleure compréhension des droits et des limites de chacun.
Enfin, la conclusion du rapport résonne comme un avertissement : lutter contre les discriminations religieuses n’est pas seulement une obligation juridique ; c’est une condition essentielle de la cohésion sociale. Ignorer ces réalités, ou les reléguer derrière d’autres combats, revient à laisser prospérer des fractures déjà béantes.
En apportant des données exhaustives et une analyse rigoureuse, la Défenseure des droits vient rappeler une évidence trop longtemps occultée : pour garantir l’égalité, encore faut-il regarder en face toutes les discriminations — y compris celles dont on parle le moins.