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Soudan : la guerre fratricide qui saigne un pays dans l'indifférence générale

Depuis l’avril 2023, le Soudan s’enfonce dans une guerre interne que peu d’observateurs placent encore sur leur radar — une guerre fratricide, en ce qu’elle oppose deux camps issus de la même nation, et oubliée, tant l’attention internationale s’en détourne. D’un côté, l’armée régulière du plus que jamais puissant général Abdel Fattah al‑Burhan, de l’autre, la milice paramilitaire dite des Rapid Support Forces (RSF), dirigée par le général Mohamed Hamdan Dagalo – alias Hemedti. Une lutte de pouvoir interne qui s’est muée en tragédie humanitaire, en raison de l’absence de médiation efficace, de l’ingérence croissante des pays de la région et d’un abandon coupable des civils.

Le bilan humain est sidérant, et pourtant rarement souligné comme il le faudrait. Selon un rapport publié début 2025, quelque 150 000 personnes auraient déjà péri dans les hostilités, et 11 millions été déplacées à l’intérieur du pays. L’agence des Nations unies souligne que plus de 30 millions de personnes, dont 16 millions d’enfants, ont besoin d’aide d’urgence – et qu’au cœur de ce conflit, les civils paient le prix le plus lourd.

Dans la région du Darfour, les camps de déplacés ont été la proie d’attaques ciblées : la RSF a lancé des assauts massifs sur les camps de Zamzam et Abu Shouk, entraînant des centaines de morts et la destruction de structures médicales. Par exemple : à Zamzam, un témoin évoque avoir dû « marcher sur des corps démembrés et croiser des voisins calcinés », rapporte le The Washington Post

Le massacre de civils dans la ville de West Darfur, ciblant notamment l’ethnie des Masalit, est emblématique : dans le village de Misterei, « We killed the zorga! » — un terme dédaigneux visant les Noirs — ont scandé les assaillants de la RSF. Les hôpitaux sont désertés ou détruits, la malnutrition explose (« plus de 770 000 enfants gravement affectés »), et l’accès à l’aide est entravé.

Les exactions ne se limitent pas à la mort ou aux bombardements ; elles incluent viols, pillages, déplacements forcés, destruction de biens. Si les chiffres précis manquent, des chercheurs notent que la violence sexuelle est délibérément utilisée comme arme, notamment dans les conflits africains où des milices pro-gouvernementales collaborent avec l’État.

Une guerre achetée, instrumentalisée, et la diplomatie hors-jeu

La bataille est interne, mais elle se déroule désormais sur fond de rivalités régionales. Le rôle du Émirats arabes unis (EAU) est en particulier pointé : selon un article du Le Monde, « les EAU auraient fourni à la RSF armes, drones et mercenaires ». L’Égypte, la Russie, le Tchad et d’autres acteurs ont également été mentionnés comme soutiens indirects ou logistiques à l’un ou l’autre camp.

Cette ingérence rend la guerre encore plus complexe : ce n’est plus simplement un conflit national, mais un champ de bataille par procuration où chacun y va de ses objectifs — contrôle de ressources, positionnement géopolitique, influence religieuse ou économique.

Plusieurs raisons expliquent cette paralysie. Le conflit est illisible et mouvant, à la fois urbain et rural, tributaire de milices aux allégeances floues. Le nombre d’acteurs étrangers et d’intérêts rend la négociation multilatérale chaotique. Les pays occidentaux sont réticents à s’engager trop fortement, craignant d’être piégés dans une guerre sans fin, ou d’être accusés de néocolonialisme. Enfin, l’une des tragédies majeures : l’abandon des civils. Quand l’aide afflue, elle est souvent détournée ou bloquée par les belligérants –

Pourquoi cette impuissance diplomatique?

La guerre fratricide au Soudan pose un cruel paradoxe : des forces nationales se combattent, mais les civils restent pris entre deux feux. L’impuissance diplomatique s’explique par cette triple tension : domestique (armées vs milices), externe (puissances régionales) et humanitaire (la crise). Le système onusien est dépassé par l’ampleur des crimes – « plus de 60 % des infrastructures médicales détruites » note un reportage.

Avec la multiplication des acteurs non-étatiques et l’abandon progressif des principes de distinction combattant/civil, l’engagement traditionnel de la diplomatie – négociation entre États – n’est plus adapté. On négocie avec qui ? Un général, un chef de milice, un État étranger ? De plus, les États intéressés disposent de l’arme économique (ventes d’armes, chaines de logistique) qui les rend moins enclins à faire pression.

Dès lors, les civils sont doublement victimes : d’abord des bombes, du pillage, du viol et de la faim ; ensuite, de l’oubli systémique. Le fait qu’on qualifie ce conflit de « guerre oubliée » n’est pas qu’un titre : c’est une réalité politique. Sans couverture médiatique massive, sans engagement public fort, il n’y aura ni cessez-le-feu, ni justice, ni réparation.

La guerre oubliée est pourtant aussi lourde de conséquences que les conflits systémiques auxquels on prête attention. Si rien n’est fait pour protéger les civils, pour mettre un terme à l’appui international aux milices, pour encadrer efficacement la diplomatie, alors le Soudan deviendra un cauchemar prolongé : non pas simplement une crise humanitaire passagère, mais un état d’implosion, un État-fragmenté livré aux seigneurs de guerre.
 

Sources: The Times, AP News, The Washington Post, Le Monde.fr+1, Financial Times, The Guardian

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