Sur la route des migrants : entre mers dangereuses et politiques fermées (Abonnés)
Près de 400 migrants ont été secourus cette semaine au sud de la Crète, une énième traversée qui tourne presque au drame. Tandis que l’Europe verrouille ses frontières, la Méditerranée continue de se transformer en cimetière à ciel ouvert — et les passeurs prospèrent.
La mer était calme, ce matin-là, quand le patrouilleur grec a repéré la silhouette d’un vieux chalutier battant pavillon inconnu. À son bord, près de quatre cents personnes — hommes, femmes, enfants — épuisées, trempées, certaines inconscientes. Parti de Tobrouk, en Libye, le bateau dérivait depuis deux jours, sans eau ni vivres. Les gardes-côtes ont parlé d’un « miracle » : le vent avait changé de direction au dernier moment, évitant le naufrage. Un miracle, mais pas une exception. Ces traversées se répètent, inlassablement.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 30 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée depuis 2014. Cette année encore, le cap des 2 000 morts a été franchi bien avant Noël. À chaque sauvetage, les images se ressemblent : embarcations de fortune, visages creusés, enfants blottis dans des couvertures de survie. Et à chaque fois, la même question : combien d’autres ne sont jamais retrouvés ?
Un continent qui se ferme
Face à cette tragédie permanente, l’Europe durcit encore sa politique migratoire. En décembre, les États membres se sont félicités d’un accord sur le Pacte européen sur la migration et l’asile, censé « mieux gérer » les flux. En réalité, il s’agit d’un dispositif de filtrage et de renvoi accéléré vers les pays de départ ou de transit. Les ONG dénoncent une dérive sécuritaire. « On parle désormais de gérer les migrants comme on gère des stocks », déplore Maria Santoro, responsable de mission chez SOS Méditerranée. « Mais ces chiffres, ce sont des vies humaines. »
Les ports européens se ferment les uns après les autres. En Italie, le gouvernement Meloni limite les débarquements et impose de nouvelles contraintes administratives aux navires humanitaires. En Grèce et à Chypre, les refoulements en mer — souvent illégaux — se multiplient. La France et l’Espagne, quant à elles, coopèrent avec les garde-côtes libyens ou marocains pour intercepter les embarcations avant qu’elles n’atteignent les eaux internationales. Des partenariats dénoncés par Amnesty International, qui rappelle les « conditions de détention inhumaines » dans les camps de transit libyens.