L’insécurité alimentaire dont souffrent déjà les populations de ces pays pauvres déchirées par des conflits internes, va connaître une nouvelle ampleur (DR)

Le spectre de la famine et des émeutes

L’arrêt des exportations des céréales suite à la guerre en Ukraine, dont le blé, et autres intrants agricoles, va durement frapper les pays du Maghreb et du reste de l’Afrique fortement dépendants. Tous sont désormais confrontés à des risques de soulèvement dans un contexte d’insécurité alimentaire accrue.

La guerre en Ukraine dans la foulée de la pandémie pourrait entraîner « un ouragan de famines » a alerté, lundi 14 mars, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Des mots de plomb pour dire l’ampleur de la menace qui pèse sur les pays du Maghreb et du reste de l’Afrique déjà confrontés à une crise alimentaire structurelle (dérèglements climatiques, conflits) ou considérablement fragilisés par les hausses de prix conséquents à la spéculation boursière autour de produits essentiels.

Le tableau est sombre. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix mondiaux des denrées alimentaires ont enregistré un pic record au mois de février, soit une hausse de 3,9 % par rapport au mois de janvier. Le conflit qui fait rage à l’est de l’Europe pourrait précipiter dans la faim 8 à 13 millions de personnes supplémentaires.

Moscou et Kiev représentent 34 % des échanges de blé. Le 8 mars dernier, le prix de cette matière première a franchit le seuil des 410 euros la tonne, contre plus de 300 euros à l’automne. Source de grande inquiétude : les prix des céréales ont déjà dépassé ceux du début du printemps arabe et des émeutes de la faim de 2007-2008.

Ce spectre-là resurgit en Egypte où le blé représente 80 % des importations. Le Caire est le premier importateur de blé au monde (12 millions de tonnes). Le prix du pain aurait fait un bond de 50 % depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Les autorités, qui disposeraient de trois ou quatre mois de stock, envisagent une augmentation du prix de la galette subventionnée destinée aux bas revenus. Une prise de risque inédite depuis les « émeutes du pain » de 1977.

L’Algérie est le cinquième importateur de céréales au monde, derrière l'Égypte, la Chine, l'Indonésie et la Turquie. Selon le ministère algérien de l’Agriculture les « stocks sont suffisants jusqu’à la fin de l’année ». Le pays qui programme d’importer 7,7 millions de tonnes de céréales en 2022 pourrait s’adresser à la France, notamment à la faveur d’une embellie dans les relations entre les deux pays. Alger n’échappera pas pour autant à la hausse des prix des denrées alimentaires conséquente au blocage des exportations au départ de la mer Noire et à la spéculation sur les marchés boursiers. Les Algériens retiennent leur souffle à l’approche du mois de Ramadan, période habituelle d’envolée organisée des prix malgré toutes les mesures de contrôle. Ils ont gardé le souvenir des émeutes de 2011 suite à une hausse brusque des prix de l’huile et du sucre qui s’est répercutée sur d’autres produits de large consommation. Alger escompte toutefois amortir cette secousse par les gains supplémentaires tirés des exportations de gaz.

Le Maroc dispose d’un stock de céréales pour les six prochains mois, après réception de commandes passées auprès de l’Ukraine (50.000 tonnes de blé tendre) avant le déclenchement de la guerre, affirme le président de la Fédération des moulins du Maroc, Abdelkader Aloui, cité par la presse locale. Selon cette même source, le pays chercherait à diversifier ses approvisionnements vers le Brésil, l’Argentine, l’Allemagne… Rabat n’est toutefois pas à l’abri de vives réactions des couches défavorisées avec la flambée annoncée de produits de première nécessité.

45 pays africains importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie

La Tunisie, quant à elle, pourrait être confrontée à de grandes difficultés en raison de ses faibles capacités de stockage et de contraintes budgétaires. Le pays est « fortement dépendant en matière de céréales, important 84 % de ses besoins en blé tendre, environ 40 % pour le blé dur et 50 % pour l’orge », indique le think tank tunisien IACE. « l’Ukraine était jusque-là un fournisseur privilégié avec le Canada et l’Union européenne, et il faudra nécessairement revoir notre politique d’approvisionnement, d’autant que le pays souffre d’une insuffisance chronique au niveau des capacités de stockage, limitées à 3 mois », précise-t-il. Tunis a importé 2,6 millions de tonnes de céréales en 2021 pour une consommation totale annuelle de plus de trois millions de tonnes.

Dans le reste de l’Afrique et au Moyen-Orient, 45 pays importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie, 18 d’entre eux s’approvisionnent à hauteur de 50%, recense la FAO. C’est le cas, entre autres, du Burkina Faso, de la République démocratique du Congo, du Liban, de la Libye, de la Somalie, du Soudan, du Yémen, de l’Erythrée (dépendante à 100% du blé Ukrainien).

L’insécurité alimentaire dont souffrent déjà les populations de ces pays pauvres déchirées par des conflits internes, va connaître une nouvelle ampleur.

Que faire devant cette catastrophe annoncée ? Nombre d’ONG sont unanimes à recommander en urgence l’augmentation des allocations budgétaires dédiées au Programme Alimentaire Mondiale (PAM) et la mise en place de systèmes de protection sociale alimentaires dans les pays impactés.

Ceux-ci n’en restent pas moins asphyxiés par l’endettement et à la merci des spéculations boursières sur les denrées alimentaires.