Mondial-1990 : Roger Milla, légende sacrée de la "success story" camerounaise (REPORTAGE)
En 20 ans, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, Roger Milla s'apprête à voyager en Afrique du Sud pour la Coupe du monde de football, non plus pour descendre dans l'arène comme lors de l'édition de 1990 qu'il avait marquée d'une empreinte indélébile en s'imposant comme un "dieu des stades" de légende à 38 ans.
Avec ses dribbles dignes d'un renard des surfaces et ses coups de reins au rythme du makossa, musique du terroir, exécutés au poteau de corner à la suite d'un but à l'instar de celui marqué après avoir subtilisé le ballon au portier colombien René Iguita, le "vieux Lion" avait procuré aux amoureux du Cameroun et d' ailleurs des instants de plaisir sans égal.
Cette année-là, pour sa deuxième participation au rendez-vous du football mondial après 1982 en Espagne, le Cameroun avait gagné en estime en battant en match d'ouverture, sous les regards médusés des dirigeants de la Fédération internationale de football association (FIFA) et des chefs d'État présents, le champion sortant, l'Argentine de Diego Maradona, et en manquant de battre de justesse l'Angleterre en quart de finale, une première pour une sélection africaine.
L'un des principaux artisans de cette "success story", le désormais ambassadeur itinérant Roger Milla, nommé par décret du président camerounais Paul Biya, se réjouit encore 20 ans après du "bon comportement de l'équipe nationale du Cameroun", affirmant qu' "il n'y a pas d'autres images pour qualifier cette Coupe du monde".
"On n'y pensait pas, mais par rapport au travail qu'on avait effectué lors de la préparation, on se sentait capables de rivaliser avec d'autres équipes. Et nous avons eu cette chance peut-être d'être plus puissants que les autres. Cela nous a permis d'atteindre les quarts de finale", a-t-il commenté sobrement dans sa résidence de fonction à Yaoundé, mais évoquant un "super stage en Yougoslavie".
De toutes parts, le peuple camerounais, pour qui l'équipe nationale, les Lions indomptables, est un symbole national, exultait en savourant l'exploit de ses "ambassadeurs". Au terme du quart de finale contre l'Angleterre, malgré la défaite 2-3 après les prolongations alors que les Camerounais avaient mené 2-1 jusqu'à' à 7 mn de la fin du match, le sentiment était plutôt à l'euphorie qu'à l'amertume dans la sélection emmenée par le Russe Valeri Nepomniachi.
"Après le match contre l'Angleterre, il y avait une fierté personnelle de notre équipe nationale d'avoir atteint les quarts de finale. Pour la première fois d'un petit pays d'Afrique pouvait le faire. C'est vrai qu'il y a des regrets lorsqu'on regarde un an ou deux ans plus tard la physionomie du match. On avait tous les moyens d'aller le plus loin possible", témoigne le "vieux Lion", qui reconnaît que ce "Mondiale" italien est le meilleur moment de sa carrière et de l'équipe nationale.
Selon lui, le Cameroun, héroïque, avait laissé filer la victoire à cause de la jeunesse et du manque d'expérience de beaucoup de joueurs. Auteur de 4 des 7 buts inscrits camerounais dont 2 en match de poule face à la Roumanie battue 2-1 et 2 autres contre la Colombie éliminée en 8èmes de finale sur le même score, il avait été sortie d'une retraite prise deux ans auparavant sur une décision du chef de l'État. Comme si ce dernier avait lu dans une boule de cristal..
"Il y a eu trop de polémiques lors de ma sélection pour cette Coupe du monde. Le Cameroun est un pays de polémique. De mon côté, moi ça ne m'intéressait pas. Tout ce qui m'intéressait, c'est la nation, d'apporter les résultats à mon pays (..) Les Camerounais ont besoin de bons résultats pour que le Cameroun rayonne dans le monde entier. Le Brésil rayonne aujourd'hui, c'est ce que nous voulons pour le Cameroun dans le continent africain", souligne-t- il avec dépit.
"Je préfère mourir pour mon pays que de le laisser couler. C' était un devoir national. Je n'ai fait que mon travail, tous ceux qui aujourd'hui jouent avant-centre ou attaquants savent qu'un attaquant, son devoir c'est d'être à côté de la défense, tout près du gardien de buts pour pouvoir le tromper ou faire autre chose", affirme Milla.
Il désigne le ministre des Sports d'alors, Joseph Fofé, comme l' instigateur de ces manœuvres visant par ailleurs le gardien de buts Thomas Nkono. Au point de l'accuser d'avoir monté l' entraîneur, qu'il qualifie d'"espion", et d'autres joueurs de le " casser" voire le "tuer".
"Il ne voulait pas de nous dans l'équipe. [Or], le ministre me connaissait, il savait de quoi j'étais capable, puisqu'en 1988 je lui donne la Coupe d'Afrique au Maroc [en 1988]", indique-t-il.
Égal à lui-même, Roger Milla, de son vrai nom Alber Roger Mooh Miller, né le 20 mai 1952 à Yaoundé, dit les choses comme il pense, sans s'embarrasser de fioritures et même si le propos peut parfois paraître excessif.
"Je ne pourrai jamais oublier cela. Même quand il fallait aller à cette Coupe du monde, beaucoup de membres de ma famille n' étaient pas d'accord. Lorsque le Seigneur décide quelque chose, personne ne peut aller à l'encontre de cela", mentionne-t-il un tantinet philosophe.
"Deux jours avant le match d'ouverture, on était encore dans les discussions des primes, alors que ça ne devait pas arriver. Surtout que le chef de l'État avait débloqué assez d'argent.
Sincèrement, les joueurs qui sont partis là-bas n'ont rien gagné. Heureusement, tous ces micmacs ne nous avaient pas empêchés de gagner les matches", révèle le "vieux Lion" qui, en 1994 aux Etats- Unis, inscrit définitivement son nom dans les annales en devenant le plus vieux joueur (42 ans) et le plus vieux buteur d'une phase finale de Coupe du monde.
Il est l'auteur de l'unique but camerounais face à la Russie qui infligea un cinglant 6-1 aux Lions indomptables à cette World Cup, après le 4-0 de 1990 où, malgré tout, le Cameroun avait terminé à la tête de sa poule avec 4 points, devant la Roumanie (3 pts), l'Argentine (sacrée meilleur troisième avec 3 pts également) et avec la même l'Union soviétique en queue de classement avec 2 pts.
Il avait déjà fait partie de l'expédition de 1982 en Espagne, avec une sélection qui, d'après lui, reste la meilleure du Cameroun, "parce qu'on a rencontré des équipes comme l'Italie qui était difficile à battre. Faire jeu égal avec elle, ce n'était pas évident. L'Italie de 82, on ne peut pas la comparer à l'Italie de 90. Comme la Pologne de 82, on ne peut pas la comparer à la Pologne de 90".
Tout en regrettant que son pays ne tire pas profit de ses atouts et exploits comme celui d'Italie 90, il se refuse à se prononcer sur les chances de la sélection nationale en Afrique du Sud.
"Je ne peux pas dire quelles sont les chances du Cameroun, parce que je ne connais pas d'abord ceux qui vont aller en Afrique du Sud. Je sais qu'il y a 30 noms, mais ce sont des présélectionnés. Il y a 7 qui vont rester. Je suis comme tous les autres Camerounais, j'attends le résultat final", dit-il simplement.
Toutefois, le meilleur joueur africain des 50 dernières années élu en 2007 par la Confédération africaine de football (CAF), double Ballon d'or africain (1976 et 1990) et membre de la FIFA, dont le première sélection à l'équipe nationale remonte en 1978, insiste sur la discipline de groupe (dirigeants, joueurs et supporteurs) et dans le jeu.