Cigares, champagne et grâce présidentielle : le scénario de l'impunité pour Netanyahou
Englué depuis 2020 dans trois procès pour corruption, fraude et abus de confiance, Benyamin Netanyahou a franchi une ligne rouge en sollicitant une grâce présidentielle. Cette manœuvre est orchestrée avec le soutien public de Donald Trump. Si elle aboutit, elle signerait l'acte de décès de la justice israélienne, offrant un chèque en blanc à la corruption d'État et aux ambitions de l'extrême droite. Pour la "démocratie" israélienne, ce serait un point de non-retour.
Le bureau du président Isaac Herzog a officialisé, dimanche 30 novembre 2025, la réception d'une requête inédite et choquante : la demande de grâce exceptionnelle du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Acculé par la justice, l'homme qui dirige l'État depuis quinze ans prétend que son procès « déchire » le pays et entrave sa capacité à gouverner. Il omet de préciser que cette division est largement de son fait, alimentée par des années de dénigrement systématique des institutions. Ses avocats ont déposé un mémoire de 111 pages, plaidant l'absence de verdict et sa propre innocence, exigeant implicitement un blanc-seing.
Dans l'ombre de cette offensive, une influence étrangère s'active : Donald Trump a publiquement fait pression sur Isaac Herzog pour qu'il accorde cette grâce, s'immisçant sans surprise dans les affaires judiciaires d'un pays allié. Cette collusion transnationale des populismes vise à assoir l'impunité comme nouvelle norme.
L'effacement programmé d'une corruption systémique
Les accusations qui pèsent sur Netanyahou ne sont pas des détails mais le révélateur d'un système. Le dossier expose comment, pendant des années, le Premier ministre et son épouse se sont gobergés aux frais de milliardaires, acceptant cigares, champagne et bijoux pour une valeur dépassant 260 000 dollars, en échange de faveurs politiques. Le dossier le plus grave, détaille un marché de dupes à l'échelle de l'État : l'octroi de faveurs réglementaires colossales au géant des télécommunications Bezeq, en échange d'une couverture élogieuse sur le site de news Walla!. Enfin, un dossier révèle que Netanyahu a négocié avec un magnat de la presse une loi pour affaiblir son concurrent, en échange d'articles favorables.
Face à cette accumulation de preuves, la stratégie de Netanyahou n'a jamais varié : crier à la «chasse aux sorcières» et attaquer l'institution même qui le juge. Sa demande de grâce, sans le moindre aveu de culpabilité ou retrait de la vie politique, est l'ultime étape de cette logique : si la justice me condamne, supprimez la sentence. C'est le rêve de tout autocrate.
La validation des méthodes de l'extrême droite
Accorder cette grâce serait bien plus qu'une faveur; ce serait une révolution juridique à l'envers. Jamais un Premier ministre en exercice n'avait osé une telle démarche avant même un verdict. Un pardon présidentiel est traditionnellement un acte de clémence après une condamnation, supposant souvent des remords. Ici, il s'agirait d'un acte de préemption politique contre la justice. L'effet serait catastrophique et immédiat :
La fin du principe d'égalité devant la loi : le message serait clair : il existe deux catégories de citoyens, ceux qui passent en jugement et ceux qui gracient les juges. La validation des méthodes de l'extrême droite : cette grâce représenterait la victoire suprême des ministres comme Bezalel Smotrich ou Itamar Ben Gvir, qui n'ont eu de cesse de qualifier la justice de « corrompue » et ont fait de sa destruction un pilier de leur programme. Un signal à tous les corruptibles : La prédation privée de l'intérêt public deviendrait un crime sans risque pour les plus puissants.
La société civile dans le dernier rempart
Face à ce coup de force, l'opposition et la société civile israélienne, déjà mobilisée par des mois de protestations contre la « réforme » judiciaire et la gestion de la guerre à Gaza, se dressent. Le chef de l'opposition Yair Lapid a posé les conditions minimales de tout pardon : « Admettre sa culpabilité, exprimer des remords et démissionner ». Le Mouvement pour un gouvernement de qualité a dénoncé une manœuvre qui placerait certains citoyens au-dessus des lois.
Des manifestations ont déjà éclaté devant la résidence du président Herzog, avec un slogan qui résume l'enjeu : «Pardon = République bananière ». Cette colère n'est pas isolée. Elle s'inscrit dans un contexte de défiance massive, où Netanyahou est perçu comme utilisant la guerre à Gaza et les tensions sécuritaires pour se maintenir au pouvoir et étouffer ses procès. La demande de grâce apparaît comme l'ultime diversion d'un leader en perte de vitesse, tentant d'échapper à ses responsabilités politiques et pénales.
L'octroi de cette grâce ne clôturerait pas un chapitre, elle en ouvrirait un des plus sombres. Elle consacrerait la victoire définitive d'un homme sur les institutions de son pays, transformant l'État de droit en coquille vide. Ce ne serait pas un acte de réconciliation, mais l'institutionnalisation de l'impunité. Pour Israël et pour toutes les démocraties qui observent ce naufrage, l'avertissement est criant : lorsque la justice capitule devant le pouvoir, c'est la démocratie tout entière qui commence à mourir.