Génération Z au Maroc : « Nous voulons être traités dignement, avoir des hôpitaux et des écoles qui fonctionnent »
La génération Z marocaine descend dans la rue et défie le gouvernement, portée par une mobilisation née sur les réseaux sociaux.
Depuis le samedi 27 septembre, le Maroc vit au rythme d’une mobilisation sociale inédite. Dans les grandes villes comme dans les périphéries oubliées, des dizaines de milliers de jeunes descendent quotidiennement dans la rue pour réclamer justice sociale, éducation, santé et dignité. Le mouvement, né sur les réseaux sociaux sous le nom de Gen Z 212, met le gouvernement d’Aziz Akhannouch à l’épreuve et révèle les fractures béantes d’un pays qui n’a jamais su guérir de ses inégalités structurelles.
« Nous voulons être traités dignement, avoir des hôpitaux et des écoles qui fonctionnent », répètent les manifestants. Cette phrase, reprise comme un slogan sur les pancartes, dit tout de la détresse d’une jeunesse sacrifiée, première victime d’un chômage massif – près de 50 % en milieu urbain – et d’un système de santé et d’éducation publique à bout de souffle. La colère qui explose aujourd’hui est celle d’une génération privée d’avenir, abandonnée par des responsables plus soucieux de grands projets vitrines que des besoins essentiels du peuple.
Une jeunesse insaisissable
Particularité de ce soulèvement : il est totalement autonome. Contrairement au mouvement du 20 février 2011, qui avait bénéficié de l’appui des partis politiques et des syndicats, les protestataires de 2025 refusent toute récupération. Nés et organisés sur la plateforme Discord, où le collectif Gen Z 212 compte déjà plus de 120 000 membres, ils échappent aux schémas traditionnels de représentation. Sans leaders identifiés, mouvants et insaisissables, ils rendent toute tentative de répression ou de cooptation vaine. Leur force vient d’une auto-organisation numérique, région par région, qui alimente en temps réel les rassemblements de rue et multiplie les foyers de contestation.
Les comparaisons avec d’autres mobilisations de jeunes dans le monde, de Madagascar à l’Asie, abondent. Partout, une même génération connectée, déclassée, refuse l’injustice et la confiscation de l’avenir par une élite politico-économique.
Des violences révélatrices
Mardi 30 septembre, un tournant a été franchi à Oujda. Une vidéo, devenue virale, montre un fourgon de police percutant un manifestant et lui roulant dessus. La scène a choqué le pays et renforcé la détermination des protestataires. Dans plusieurs villes – Inzegane, Aït Amira, Casablanca –, la colère a dégénéré en affrontements. Postes incendiés, véhicules retournés, commerces pillés : les images d’émeutes contrastent avec le discours pacifique affiché par les organisateurs. Le ministère de l’Intérieur a fait état de 409 interpellations et de près de 300 blessés.
Les ONG locales alertent sur la dérive répressive. Trente-sept jeunes, dont trois en détention, doivent être jugés dès le 7 octobre à Rabat, tandis que d’autres procès se profilent à Casablanca. « Les chefs d’accusation sont encore flous, mais la volonté d’intimider est claire », déplore l’avocate Souad Brahma.
Une fracture sociale ancienne
Ces événements trouvent leur source dans une réalité sociale ancienne. Le Maroc est un pays où les inégalités restent abyssales : entre les métropoles et les campagnes, entre secteurs publics et privés, entre minorité privilégiée et majorité laissée-pour-compte. Depuis des décennies, la misère d’une large partie de la population constitue un foyer latent, prêt à s’embraser au moindre incident.
Le contraste entre la promesse d’un Maroc « moderne » – hôte de la Coupe du monde 2030, avec des milliards investis dans les infrastructures sportives – et l’effondrement de ses hôpitaux ou de ses écoles apparaît insupportable pour beaucoup. Comment accepter, demandent les jeunes, qu’on inaugure un stade flambant neuf à Rabat quelques jours seulement après la mort de femmes enceintes faute de soins à Agadir ?
Le gouvernement sous pression
Face à l’ampleur de la contestation, l’exécutif a promis de répondre « positivement » aux revendications. Mais la confiance est rompue. Abdelilah Benkirane, chef de file des islamistes, a exhorté les jeunes à cesser les manifestations « avant de basculer dans l’inconnu », tout en tenant le gouvernement pour responsable de la dégradation sociale. Les partis d’opposition, eux, marchent sur une ligne de crête : ils se disent solidaires mais savent qu’ils ne sont pas désirés par une jeunesse qui rejette toute appartenance.
Mercredi soir, pour le cinquième jour consécutif, de nouveaux rassemblements étaient prévus dans une dizaine de villes. Sur Discord, un vote consultatif devait décider de la poursuite ou non des manifestations. Mais quel que soit le résultat, le message est clair : une génération entière refuse d’être ignorée.
Un avenir incertain
La question qui se pose désormais est celle de l’issue. La répression peut-elle étouffer un mouvement né dans les réseaux, sans leaders à emprisonner ni structures à interdire ? À l’inverse, le gouvernement peut-il ouvrir un vrai chantier de réformes sociales, en investissant massivement dans la santé, l’éducation et l’emploi ?
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la seule crise conjoncturelle. C’est la crédibilité du contrat social marocain qui vacille. Dans la rue, les jeunes ne demandent pas l’impossible : juste un pays où chacun puisse être soigné, éduqué, travailler et vivre dignement. Ce vœu, simple et universel, pourrait bien être le catalyseur d’une recomposition politique majeure au Maroc.