Maghreb : Harems et Sultans, regards croisés sur le pouvoir et le genre dans l’histoire
Le séminaire « Histoire et archéologie de l’Islam médiéval », organisé mercredi 12 novembre à Paris accueille l’historienne Jocelyne Dakhlia pour une intervention sur le thème : « Harems et Sultans. Genre et despotisme au Maroc et ailleurs, XIVe-XXe siècle». L’occasion de revisiter les dynamiques de genre et de pouvoir dans la longue durée maghrébine, loin des clichés et idées reçues.
La séance du jour marque une étape importante dans la réflexion académique sur le Maghreb et l’Islam médiéval. Spécialiste reconnue de l’histoire culturelle et politique de l’islam au Maghreb, Jocelyne Dakhlia y éclaire les enjeux liés aux rapports de genre et à la structuration du pouvoir. Son ouvrage, récemment publié, propose de penser autrement les figures du harem et du sultan, en remontant le fil de l’histoire de la fin du Moyen Âge jusqu’au XXe siècle.
L’image du harem traverse encore l’imaginaire occidental et oriental, charrie une litanie de fantasmes sur l’enfermement et la passivité féminine, tout autant que sur l’absolutisme despotique des souverains. Pourtant, Jocelyne Dakhlia déconstruit ces représentations figées pour restituer toute la complexité des rapports politiques et sociaux qui traversent les palais et, au-delà, le tissu des sociétés marocaines et maghrébines. À rebours d’une vision stéréotypée du « despotisme oriental », elle analyse comment la place des femmes au sein des sphères du pouvoir est bien plus ambivalente et mouvante : participantes, médiatrices et parfois stratèges, leur influence s’étend des sphères privées à la vie publique.
Genre, pouvoir et histoires multiples
Les recherches de Dakhlia, nourries d’une documentation foisonnante et réexaminée, révèlent que le harem n’est pas seulement « le lieu d’enfermement féminin » : il incarne aussi un espace de circulation du pouvoir, un réseau de représentation et d’intermédiation entre familles, tribus et souverains. Les femmes du harem pouvaient jouer un rôle politique subtil, parfois déterminant, en faveur de leurs proches ou de leur lignée, jusqu’à la gestion même d’enjeux diplomatiques.
La circulation de femmes dans ces espaces traduit des formes variées de pouvoir et de délégation, où le politique se mêle à l’intime. Comme le rappelle l’historienne, l’histoire du Maghreb est marquée par un pouvoir polycentrique, où rivalités, alliances et contre-pouvoirs traversent le quotidien des cours royales. Les femmes, qu’elles soient esclaves, favorites, épouses ou princesses, deviennent des médiatrices entre le souverain et la société, actrices de cette redistribution perpétuelle des influences et des fidélités.
La conférence de Jocelyne Dakhlia invite ainsi à réinterroger l’historiographie, longtemps tentée par une lecture culturaliste et figée, et propose une histoire renouvelée du genre et du politique. Le séminaire, par la voix de l’une de ses spécialistes majeures, rappelle combien l’étude du passé éclaire les enjeux contemporains sur la place des femmes et la nature du pouvoir au Maroc et dans tout le Maghreb.
Photo: (DR)