Algérie: l'invasion des citernes sur les façades qui défigurent les villes
Dans de nombreuses villes algériennes, et particulièrement à Alger, les citernes d’eau investissent balcons, terrasses — et désormais façades. Un signe de l’ampleur de la crise hydrique. Si ce recours s’impose pour pallier les coupures régulières, il pose de graves questions de sécurité, d’urbanisme et révèle l’échec des politiques d’approvisionnement.
Depuis quelques mois, de la même façon que jadis les paraboles, d’imposants réservoirs d’eau ont envahi les façades des immeubles algériens — en particulier dans les quartiers populaires. Installées sur des supports métalliques solidement fixés, ces citernes, autrefois cantonnées aux balcons ou aux toits, sont maintenant soudées à même le mur extérieur des bâtiments. L’image, relevée notamment par la presse et des médias en ligne, s’est rapidement imposée comme l’un des symboles les plus visibles de la crise de l’eau qui affecte le pays.
Une pratique née du rationnement et du manque d’eau
Le recours massif aux citernes traduit une réalité difficile : l’eau courante n’est plus un droit évident. Dans la capitale, la distribution s’effectue désormais selon des schémas de rationnement — parfois quelques heures d’eau tous les deux jours, voire plus long. De nombreux foyers, excédés par l’incertitude des livraisons, ont acheté des citernes d’une capacité allant de quelques centaines à plusieurs milliers de litres, espérant subvenir aux besoins les plus élémentaires : boire, cuisiner, laver.
Pour beaucoup, ce n’est pas un choix esthétique mais une question de survie quotidienne — comme le confiait un habitant d’Alger : « Si on avait l’eau courante sans coupures … on ne ferait pas ça. »
Un danger pour les habitants et les passants
Mais au-delà de la contrainte, la généralisation de ces installations soulève un risque sérieux. D’après des experts cités dans la presse, une citerne de 1 000 litres pèse près d’une tonne : fixée à contre-murs, parfois à plusieurs étages de hauteur, elle représente un danger réel pour les passants ou les riverains en cas de défaut de fixation, de corrosion des supports ou — pire encore — d’un tremblement de terre.
Le président du « Club des risques majeurs », le professeur Abdelkrim Chelghoum, rappelle que ce type d’installation est illégal : il constitue une modification non autorisée de l’architecture des bâtiments, susceptible de fragiliser leur structure. Dans plusieurs quartiers — de la cité « Confort » à El-Madania, à Ain Naâdja, Kouba, Birtouta ou Ain Malha — les citernes multicolores détériorent l’esthétique urbaine, défigurant les immeubles déjà fragiles.
Quand l’État reste passif
Face à cette prolifération, les réseaux sociaux s’enflamment. Certains fustigent « l’anarchie » et interpellent les pouvoirs publics : pourquoi tolérer ces installations dangereuses ? Pourquoi laisser nos villes se transformer en entrepôts d’eau bricolés, au détriment de la sécurité et de l’urbanisme ?
Pourtant, l’intervention des autorités reste à ce jour très limitée — comme si la crise d’eau et l’urgence sociale faisaient passer au second plan les impératifs de sécurité et d’urbanisme. Le recours aux citernes paraît toléré plutôt que encadré. Cette situation soulève une question légitime : comment justifier qu’un tel mépris pour la réglementation puisse durer, alors même que le danger est connu ?
Une crise d’eau durable malgré des pluies parfois abondantes
Le paradoxe est d’autant plus frappant que ces coupures surviennent malgré des épisodes pluvieux — le pays n’a pas manqué d’averses ces dernières années. Mais la crise ne se joue plus seulement dans les pluies : c’est l’ensemble du système d’adduction, de stockage, de distribution, et la gestion urbaine qui semblent à bout de souffle.
Ce calvaire quotidien — files d’attente, stockage hasardeux, incertitude permanente — révèle l’ampleur d’un échec infrastructurel. Et la multiplication des citernes sur les façades, loin d’être un choix volontaire d’embellissement, incarne la défaite des politiques publiques face aux besoins élémentaires.
Que faire ? Urgence d’une réponse collective
Si l’on veut éviter une catastrophe — qu’elle soit sanitaire, sismique ou simplement esthétique —, il est urgent que les autorités se saisissent du problème. Quelques pistes sont évidentes : mettre en place des réservoirs collectifs ou des bâches d’eau en toiture, structurés et sécurisés ; réviser les réseaux de distribution pour garantir une fourniture régulière ; contrôler et interdire les installations individuelles dangereuses.
En l’absence de telles mesures, les façades des villes resteront salies — ou pire, menacées — par une survie quotidienne bâtie à coups de citernes