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Maroc : la jeunesse dit non au mépris social, le pouvoir répond par le sang

Depuis la fin septembre, le Maroc vit au rythme d’un mouvement social inédit, porté par le collectif anonyme GenZ 212. Née sur les réseaux sociaux et rassemblant déjà plus de 150 000 membres, cette mobilisation spontanée illustre une colère profonde : celle d’une jeunesse laminée par le chômage, les inégalités et l’abandon des services publics. Le drame de huit femmes mortes lors d’accouchements à l’hôpital public d’Agadir, en septembre, a agi comme détonateur. L’indignation s’est muée en révolte, gagnant de nombreuses villes du royaume.

Avec un taux de chômage officiel de 35,8 % chez les jeunes, la génération montante se retrouve en première ligne de la contestation. Mais au-delà de leur situation, les manifestants se font les porte-parole d’une population entière qui souffre du délabrement des infrastructures sociales. Les récits de familles privées d’accès aux soins, ou de femmes enceintes mourant aux portes des hôpitaux, révèlent une tragédie quotidienne qui dépasse largement le sort des seules nouvelles générations. Ce sont les jeunes qui crient dans la rue ce que leurs aînés n’osent plus exprimer.

Une répression violente et aveugle

La réponse des autorités a été brutale. Trois personnes ont trouvé la mort, abattues par les gendarmes, après une cinquième nuit de manifestations. Plus de 350 blessés ont été recensés, ainsi que des centaines d’arrestations. Derrière la rhétorique officielle de « légitime défense », cette répression traduit surtout le désarroi du pouvoir face à un mouvement fluide, insaisissable, qui se propage à la vitesse des réseaux sociaux. Promettre d’écouter les revendications tout en multipliant les coups de matraque relève du double langage. En réalité, les autorités ont fait le choix d’une répression drastique, qui risque d’attiser encore davantage la colère.

Confronté à une contestation massive, le gouvernement tente de détourner l’attention en brandissant la menace d’une « ingérence algérienne ». Mais la ficelle est trop grosse pour convaincre. Les Algériens eux-mêmes, à travers leurs autorités comme leur population, rappellent leur principe de non-ingérence et expriment au contraire des vœux de fraternité et de paix. Pointer du doigt le voisin revient à esquiver les vraies causes de la révolte : le chômage, les inégalités abyssales, la corruption, et l’absence d’infrastructures vitales.

La fracture des priorités

L’un des slogans des manifestants – « Nous ne voulons pas la Coupe du monde, la santé est prioritaire » – résume parfaitement l’exaspération. Alors que l’État investit massivement dans les stades, les lignes à grande vitesse ou la préparation de la Coupe du monde 2030, les hôpitaux manquent de lits, les écoles tombent en ruine et les villages restent sans médecins. Aux yeux de la jeunesse, ces dépenses pharaoniques pour des vitrines sportives sont la goutte qui fait déborder le vase d’une injustice sociale ancienne.

Le collectif GenZ 212 surprend par sa capacité d’organisation et sa stratégie. Il appelle à des manifestations passives et réaffirme son rejet de la violence, malgré les provocations et la répression. Apolitique et sans visage connu, il se présente comme un espace de discussion ouvert sur la santé, l’éducation et la lutte contre la corruption. Cette horizontalité déstabilise les autorités, habituées à négocier avec des oppositions encadrées et facilement neutralisables. La jeunesse marocaine se réinvente dans des formes nouvelles de mobilisation, loin des partis traditionnels, et impose son propre agenda social.

Une crise aux racines profondes

La contestation actuelle n’est pas une flambée isolée mais le résultat d’accumulations anciennes. Le Maroc est marqué par des inégalités régionales abyssales, un système éducatif à deux vitesses, une santé publique sinistrée, et une absence chronique de politiques de justice sociale. La normalisation avec Israël, autre motif de colère, cristallise aussi le sentiment d’un abandon des principes historiques de solidarité avec la Palestine. Autant de fractures qui nourrissent un ressentiment grandissant, surtout chez une génération connectée et consciente de ses droits.

Le Maroc se trouve face à une situation explosive. Les promesses d’écoute du gouvernement sonnent comme un leurre tant que les arrestations se poursuivent et que les balles répondent aux slogans. En choisissant la répression plutôt que le dialogue sincère, les autorités prennent le risque d’un embrasement incontrôlable. La jeunesse, loin de s’essouffler, semble au contraire déterminée à poursuivre sa mobilisation. Et c’est tout un pays, derrière elle, qui aspire à une autre répartition des richesses, à des hôpitaux dignes, à une école équitable et à la fin du mépris social.

 

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